Lancer des anathèmes peut aussi cacher une pauvreté intellectuelle.
La démocratie est-elle soluble dans l’islam ?
Les Frères musulmans ont sans aucun doute été un des moteurs des printemps arabes. Elus démocratiquement en Egypte, pays le plus peuplé du monde arabe, ils ont tenté de diriger ce pays sans succès. Ils n’étaient pas prêts à affronter la gouvernance d’un pays aussi important. Même s’ils soutiennent que la démocratie est soluble dans l’islam, les Frères musulmans n’ont pas « débattu et organisé » cette victoire aux élections par une transformation de la société égyptienne où l’intérêt collectif prime sur l’intérêt particulier, ni même réglé la problématique de la hiérarchie de la loi entre la « charria » et les lois des hommes.
En outre, la gestion démocratique d’un pays implique la reconnaissance des forces politiques autres que celles qui ont pris le pouvoir en leur donnant les moyens d’exister et d’apporter la contradiction qui fait vivre une démocratie. Or, tel ne fut pas le cas, les égyptiens ayant vécu ces quelques mois de « règne des Frères musulmans » comme une prise en main quasi militaire.
La difficulté dans laquelle l’exercice du pouvoir, du président Morsi issu des Frères musulmans et de ses ministres, s’est exercé, a été accentuée par la résistance interne et externe de forces qui contestaient l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans en Egypte. Tout a été entrepris en interne, par une grande partie de l’armée égyptienne avec à leur tête le général Al Sissi et nous savons pourquoi aujourd’hui, pour contrarier la réussite des premiers pas dans le monde politique des nouveaux dirigeants de l’Egypte. C’est sans doute en externe que la crainte d’une réussite « possible des Frères musulmans » en Egypte a suscité le plus d’émoi et que tout a été organisé pour précipiter la chute des nouveaux élus. Les monarchies du Golfe (sauf le Qatar), ont mis des moyens considérables pour asphyxier cette expérience politique, chacun comprendra qu’à leurs yeux, une réussite même partielle aurait sonné le début de la fin de ces monarchies. Si le Qatar a soutenu financièrement et médiatiquement cette évolution de la société égyptienne, c’est parce qu’il était « en mission » pour les américains qui espéraient bouleverser une fois de plus l’ordre en place au Moyen Orient. En effet le Qatar qui aurait pu montrer l’exemple d’une ouverture politique n’est jamais allé dans ce sens.
Lorsqu’en 2011, Bernard Lewis, grand connaisseur du monde musulman, publia «le Pouvoir et la Foi», il apporta une partie de la réponse concernant la démocratie et l’islam.
Dans un entretien au « Nouvel Obs », il explique sa vision « Dans l’Islam, la différence entre l’Eglise et l’Etat, entre la religion et le gouvernement, n’existe pas alors qu’elle est essentielle dans le monde chrétien… » « Comme tous les peuples de la terre, nous autres, Occidentaux, sommes convaincus que nous avons raison contre les autres. Quand nous parlons de démocratie, nous entendons notre type de démocratie reposant sur des élections et une représentation du peuple. Je pense que nous faisons fausse route. D’autres sociétés ont évolué différemment de nous et leur manière de construire des institutions démocratiques ne ressemble pas à la nôtre. Procéder à des élections de type occidental dans des pays arabes ou musulmans peut se révéler dangereux si cela aboutit à une confiscation du pouvoir par des extrémistes religieux… C’est pour ces raisons que des élections libres à l’occidentale risquent surtout d’amener au pouvoir les Frères musulmans, ou d’autres qui leur ressemblent. Il vaut mieux procéder de manière inverse et laisser les Arabes construire graduellement leur propre démocratie au niveau local, notamment par le biais de leur culture ancestrale de la consultation. »
Mais les américains ne croient pas à cette lente évolution et depuis des décennies ils ont des contacts avec les Frères musulmans. Ils ont vu grandir cette force au Moyen Orient et au-delà, en l’accompagnant quelque fois. Ils constatent et dénoncent certaines dérives comme une partie extrémiste qui passe à l’action provoquant en Egypte depuis longtemps des assassinats en représailles d’autres assassinats par les différents leaders ou dictateurs qui ont dirigé ce pays, ou le Hamas qui combat Israël notamment à Gaza… Nonobstant ces dérives, globalement les américains considèrent jusqu’à ce jour qu’une des solutions possibles pour introduire les bases d’une démocratie dans les pays du Moyen Orient passe par les Frères musulmans, donc pour eux ils ne peuvent être classés comme terroristes. Alors qu’en Europe certains pays, comme l’Angleterre essaie de se forger une opinion et enquête sans parvenir à conclure, en France on préfère lancer l’anathème par fainéantise et pauvreté intellectuelle. Chacun reconnaitra que la guerre ne peut tout régler même si elle est nécessaire contre l’Organisation de l’Etat islamique ou d’autres groupes similaires. Si la réussite de l’expérience égyptienne est un échec, celle de la Tunisie en cours peut faire espérer aux américains qu’avec le temps et en corrigeant les échecs, une solution politique au Moyen Orient reste possible.