Faire de l’éducation un pilier du Qatar est un objectif respectable. Attirer la planète entière en payant le prix fort pour organiser Wise pourquoi pas ? Mais une stratégie d’éducation doit reposer sur des valeurs même au Qatar.
Les participants du sommet Wise 2013 sont utilisés
L’argent peut-il tout acheter ? C’est une question qui pourrait être demain posée à chaque participant au sommet sur l’éducation qui s’ouvre à Doha le 29 octobre prochain. Le travail considérable de Scheikha Moza est reconnu dans le monde entier en ce qui concerne l’éducation. Mais la multitude de problèmes entachant l’image du Qatar finissent par gommer les années d’engagement de Scheikha Moza. Les prix distribués pour certains sont importants, peut-être mêmes vitaux pour leur projets. Mais il faut être conscient que chaque participant sera utilisé dans une campagne de communication dont l’objet est de donner du Qatar l’apparence d’un pays moderne et progressiste, partageant les valeurs universelles du monde.
Pourtant, la crise de l’Ecole frappe aussi le Qatar. Il serait intéressant de relire Marcel Gauchet. Extrait d’un article Wikipédia : « Selon lui, l’École est au service de la production d’un citoyen et individu rationnel, tourné vers l’avenir. Cependant, l’approfondissement de l’individualisme contemporain conduit à perdre de vue que cette production suppose certaines conditions. La pédagogie, ou le pédagogisme, est de nature idéologique, il redouble la négation de cette nécessité. À partir de là, Gauchet s’intéresse à des thèmes comme l’autorité, ou encore la transmission des savoirs. Apprendre, ce n’est pas qu’assimiler un savoir à sa psychologie propre, c’est accommoder son fonctionnement mental à des méthodes nouvelles. Gauchet se veut optimiste : la démocratie donnera naissance à un consensus politique autour de l’école et de ses exigences, car l’école est la condition sine qua non de la formation de l’individu dont ont besoin nos sociétés ».
Mais le Qatar ce n’est pas la démocratie…
L’environnement tribal pèse sur l’éducation au Qatar
Lors du reportage d’Envoyé Spécial de France 2, nous avons pu entendre les difficultés pour le proviseur du Lycée Voltaire à enseigner au Qatar. Il y a de la part des autorités qataries un filtrage du savoir qui est dés plus surprenant. Ces étudiants qataris devenus grands se retrouvent dans les grandes écoles internationales et découvrent le monde sans les filtres mis en place dans leur pays. Voilà une erreur stratégique qui dure depuis de longues années et qui empire.
La bataille des tribus fait des ravages au Qatar. Entre les modernistes et les conservateurs, c’est la danse du « un pas en avant et deux pas en arrière ». Interrogez vous de savoir qui dirige le Lycée Voltaire et qui pèse y compris sur le Lycée Bonaparte et vous comprendrez la bataille de deux familles qui dure depuis plus de cent ans. Cette lutte acharnée a des conséquences directes y compris sur la gestion de la justice. Comme nous l’indiquions récemment dans un de nos articles, il existe un joker pour se débarrasser d’un proviseur français. Il suffit d’invoquer une attitude « antimusulmane » et voilà que le proviseur se retrouve à fuir le Qatar poursuivi par la justice.
Les étudiants Qataris n’ont pas accès aux postes qu’ils méritent
Après une enfance et une adolescence dans un monde idéal où tout est filtré, les étudiants sont lâchés dans les grandes écoles internationales sans y être réellement préparés. A cette souffrance s’ajoute un retour au pays bien décevant. Voici plusieurs semaines que les journaux du Qatar font état de commentaires « acides » de jeunes Qataris qui trouvent, qu’ils sont maltraités en matière d’emplois et de niveaux de salaires.
La première partie du problème est la notion d’emplois réservés qui doivent être offerts aux jeunes Qataris dans le cadre de la préférence nationale. On ne parle pas ici des fils de millionnaires qui siègent dans les organes de gestion, mais des milliers de jeunes Qataris dont les familles ont un statut souvent de cadres supérieurs, une situation aisée qui a permis d’envoyer leur enfants faire des études de très bons niveaux. Mais au retour des grandes écoles internationales lorsqu’ils espèrent « de bonnes places » comme leurs parents, ils se trouvent en concurrence soit avec des asiatiques soit avec des occidentaux et de surcroît comme partout dans le monde, on leur dit « oui tu as un diplôme mais tu n’as pas d’expérience.» Résultat, les places proposées sont moins importantes que prévues et les salaires sont en conséquence.
La deuxième partie du problème est que le Qatar pour faire face à la confrontation internationale, doit rechercher les meilleurs non seulement parmi les Qataris mais dans le marché mondial de l’emploi. Lorsque les journalistes de l’agence Reuters notent la « capture » de quelques grands banquiers dans le monde qui se mettent au service de QIA pour assurer une diversification des avoirs Qataris, ils sont loin de se douter que cela met le feu aux poudres au Qatar. C’est la prochaine polémique qui va arriver. Et pourtant, il est urgentissime d’élargir le territoire des actifs du Qatar qui sont aujourd’hui à 80 % en Europe. Pour faire les montages financiers de la taille des investissements à venir et souvent du nombre de pays concernés, cela demande des connaissances « extrêmes » avec les salaires qui vont avec.
Alors les polémiques, ce n’est pas fini et il faudra trouver les solutions car imaginer un futur pour un jeune Qatari devient complexe.
Troisième élément, lorsqu’on examine de prés la population du Qatar qui se situe au total à moins de 250 000 résidents, le nombre de personnes en âge de travailler est tellement faible qu’une pression « extraordinaire » est exercée sur ces étudiants, travailleurs, entrepreneurs. Or, cette pression aboutit « in fine » à se retrouver sous les ordres d’un expatrié même très compétent alors que depuis votre enfance on vous a programmé pour diriger ; il y a là une contradiction que les jeunes Qataris vivent douloureusement. La récente expression du ministre des affaires étrangères « un qatari vaut une nation » parait pour certains un effet de manche ou plus simplement du baratin.
Faire de l’éducation un pilier du Qatar est un objectif respectable. Attirer la planète entière en payant le prix fort pour organiser Wise pourquoi pas ? Mais une stratégie d’éducation doit reposer sur des valeurs même au Qatar. Parmi ces valeurs notons l’ouverture d’esprit au monde dés le plus jeune âge, le respect du capital humain non comme une ressource mais comme essence de la vie et une liberté d’entreprendre et de circuler pour tout résident ou expatrié sur le sol qatari. Comme disait un internaute qatari « on récolte toujours ce qu’on a semé ».