Au sortir des scrutins présidentiel et législatif, les Français ont le sentiment d’un paysage politique dévasté.
Un appel à la refondation et donc à la constitution d’une dynamique collective
Certes, une majorité d’entre eux, voulant surtout faire obstacle à l’extrême droite, a donné un nouveau mandat au Président de la République, mais sans pour autant le faire bénéficier, dans la foulée, d’une majorité nette à l’Assemblée nationale, qui lui aurait permis de gouverner sans heurt.
Dans un contexte international, européen et français qui appelle des décisions urgentes et courageuses, cette fragilité du pouvoir expose notre pays à un risque sérieux de fracturation et de déclassement. Si on est avant tout préoccupé de l’intérêt de la Nation et de ceux qui, en son sein, sont les plus exposés aux crises climatique, économique ou sanitaire, il faut avoir la lucidité de poser ce constat. Circonstance aggravante, aucune des oppositions n’a reçu la faveur de nos concitoyens comme si, dans la gravité du moment, l’absence d’esprit de responsabilité qui semble présider aux choix de chacune d’elles, contribuait à les disqualifier toutes. Ainsi, ni la majorité relative anémiée ni les oppositions majoritairement animées par la radicalité ne semblent pouvoir répondre aux attentes de nos compatriotes.
L’abstention massive des Français témoigne également de la perte de confiance dans les institutions de la République, mais aussi dans les forces politiques constituées, dont les citoyens doutent désormais qu’elles seront capables de se mettre au service du bien collectif. Il est fort probable que la communication débridée d’une majorité dévitalisée, sans boussole ni projet, et que les postures théâtrales des oppositions radicalisées ne suffiront pas à répondre à l’épuisement démocratique, qui prive la République de sa force vitale.
Alors que notre système politique et institutionnel voit sa légitimité contestée et son efficacité amoindrie, les Français aspirent à un gouvernement qui puisse agir de nouveau en les respectant, c’est-à-dire en s’adressant à leur intelligence collective. C’est dans ce contraste entre la situation politique et les aspirations profondes des Français que réside le risque d’un grave court-circuit démocratique : le blocage potentiel des institutions, la montée de la violence dans l’espace du débat public, l’effacement de la notion de respect, la volonté de certains de susciter, à chaque instant, la contestation de tout, en poussant la foule à s’emparer de la rue, offrent de sombres perspectives à notre pays.
Le mal est profond
Le divorce entre le peuple et les responsables politiques est consommé. Les Français sont de plus en plus nombreux à ne pas se sentir écoutés et – bien plus grave – respectés. Le ressentiment le dispute au fatalisme, à l’insécurité culturelle s’ajoute une précarité existentielle débouchant sur le sentiment de vivre dans une société à durée déterminée. L’insécurité au quotidien, couplée à l’incertitude du lendemain, attise l’incompréhension mais aussi la colère. Pourtant, comme une lueur d’espérance, l’aspiration à la justice, à la concorde et au progrès est toujours aussi présente. Les énergies sont partout et l’envie de servir demeure infinie. Comme souvent face aux grandes épreuves, la France n’a pas perdu foi en elle-même.
Au fond, ce nouveau paysage politique souligne aussi le vide laissé par la sociale-démocratie et les humanistes de gauche. C’est ainsi qu’il faut lire ce texte, qui n’est autre qu’un appel à la refondation et donc à la constitution d’une dynamique collective. Un progrès qui protège, une République revivifiée, un État profondément restauré et un humanisme véritablement écologique : voici ce qui manque aux débats, voilà le cœur d’un nouveau mandat pour l’action. Il nous revient donc à nous, républicains de gauche et d’où que nous venions, de nous organiser pour rassembler nos forces et conjuguer nos efforts afin de redonner aux Français l’espérance à laquelle ils ont droit.
Voilà le mandat des militants de l’espérance : démontrer jour après jour qu’une autre gauche est possible, qui rompe avec l’outrance et le sectarisme, mais qui demeure ardente dans le refus des inégalités, des injustices et des discriminations, dans la défense des valeurs de la République et dans sa détermination à réussir le grand combat pour le climat, dont la jeunesse du monde entier porte avec audace le flambeau.
Un risque de dislocation de la société française
Les Français aspirent à un profond changement. Ils demandent à être convaincus que le progrès est encore une promesse possible pour eux-mêmes et leurs enfants. Certains aspirent au souffle des grandes espérances, qui a parfois permis dans l’Histoire d’enjamber un monde pour en faire jaillir un autre, qui soit plus juste et moins violent. Beaucoup s’inquiètent du climat de tensions extrêmes dans lequel la Nation se trouve plongée. À l’occasion de l’élection présidentielle, le sentiment a dominé que la faiblesse de l’offre politique imposait au pays un choix par défaut. Ce que l’on a appelé le vote utile s’est traduit, pour bien des citoyens, par la résignation au moindre mal, dans un contexte où aucune force ne parvenait plus à apaiser le peuple, encore moins à l’unir.
Le délitement du débat public et du pacte civique résulte de l’affaissement des institutions, de l’abaissement des comportements dans la violence verbale et numérique, au point qu’il ne demeure presque plus rien de l’esprit républicain qui fit l’unité et l’indivisibilité de la Nation. Le passage au quinquennat a privé, mécaniquement, le chef de l’État du temps nécessaire à l’affirmation de son pouvoir d’arbitrage ; l’élection des députés dans la foulée a abouti à une désincarnation du Parlement assujetti à une technostructure froide, déconnectée et à l’exercice isolé du pouvoir présidentiel. L’accoutumance à la violence et à la transgression a convaincu chacun qu’il peut tout dire, tout faire et tout oser, pour atteindre ses buts. Les partis ont peu à peu cessé de jouer leur rôle d’enceinte de délibération où s’élaborent les propositions et les projets, pour se transformer en écuries d’ambitieux qu’anime la tactique plutôt que le bien commun. Les artifices de communication et les mises en scène théâtrales, auxquelles bien des responsables politiques se livrent pour dissimuler leur impuissance ou leur absence d’imagination réduisent la politique à un art de la séduction, éventuellement de la disruption, sans place pour le courage et les convictions. De ce jeu dont ils jugent sévèrement les acteurs, les Français ne sont pas dupes. Ils s’abstiennent de plus en plus ou choisissent le bulletin blanc afin de n’apporter à ce triste spectacle ni leur concours ni leurs voix. Il y a désormais un blocage, un refus d’obstacle, la démocratie représentative est en danger.
La société française fait face à un risque de dislocation. Pour prévenir cette désagrégation, quatre défis appellent des solutions urgentes : celle de la lutte contre les inégalités, à l’heure où les injustices accroissent les risques de fracturation de la société française ; celle du défi écologique et climatique, qui relève désormais d’une course effrénée contre la montre ; celle du nécessaire ré-ancrage républicain de la Nation, alors que des forces extrémistes, identitaires et violentes, assument de plus en plus ouvertement leur rupture avec l’universalisme, dont les républicains sont les héritiers ; celle de la réparation de l’État, abîmé et fragilisé par de funestes réformes, la réduction inconsidérée de ses moyens, comme de sa capacité d’agir, notamment pour protéger les Français et la banalisation de son statut.
À gauche, l’aspiration au « rassemblement » est indissociable de l’espérance. Mais l’union est une discipline, qui revêt une part d’exigence morale et suppose la fidélité à des convictions, à des valeurs et à un héritage. C’est pourquoi la gauche de gouvernement, dans le temps long de son histoire, a toujours accepté de se confronter à la réalité, en faisant de l’éthique de la responsabilité l’instrument de sa crédibilité. Renoncer à cette identité reviendrait pour elle à se perdre, en laissant le champ libre à l’alliance de la droite extrême et à l’extrême droite. Dans la tempête et face au danger la faute funeste consiste à laisser tomber sa boussole.
La gauche de transformation, du fait de sa tradition pluraliste, est en outre la seule en capacité de réunir les différentes aspirations au progrès social, économique, environnemental, démocratique, sans transiger avec les valeurs de la République, le respect de l’État de droit et l’ambition d’une Europe plus forte et plus solidaire. La reconstruction d’une véritable perspective sociale-démocrate est urgente, si nous voulons pour nos enfants une société plus juste et plus écologique.
Refaire Nation
En nous attaquant aux inégalités, nous affirmons notre détermination à refaire Nation, en offrant à tous la perspective d’une vie digne et en protégeant le plus grand nombre du risque de déclassement. La société française, plus que jamais fragmentée et polarisée, hystérisée par les postures de confrontation entretenues en son sein ne se pense plus comme le creuset d’aspirations communes, mais comme la juxtaposition de groupes sociaux se représentant en communautés recroquevillées et hostiles les unes à l’égard des autres, où la revendication individuelle domine, au détriment des ambitions collectives et des préoccupations d’intérêt général. Face à la relégation vécue ou redoutée qu’éprouvent intimement nos concitoyens dans bien des territoires – et qui se fait plus vive à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains denses et connectés – les services publics sont à juste titre perçus comme l’instrument d’une possible solidarité, comme le levier de l’égalité réelle.
Les crises les plus récentes, par leur effet de souffle – le mouvement des gilets jaunes qui notamment a mis en lumière les fractures profondes au sein de la société française –, ont souvent conduit les gouvernants à privilégier la gestion politique immédiate, destinée à éteindre l’incendie, au détriment de la compréhension en profondeur des colères dont ils n’avaient que rarement anticipé l’avènement. Alors que les récentes poussées de fièvre ont, partout en France, résulté en grande partie d’un sentiment d’oubli des villes moyennes, des communes rurales reculées et des Outre-mer, une réponse plus ample, alliant le renforcement de la présence de l’État et des services publics et le retour à une ambitieuse politique de développement du territoire, aurait sans doute été plus efficace.
La question de la qualité et de la répartition des services publics sur le territoire national, face aux besoins affirmés de protection des Français, est devenue le critère à partir duquel s’opère ou non le consentement à l’impôt, ainsi que la capacité des citoyens à adhérer aux réformes qui leur sont proposées. Il en est ainsi des décisions visant à promouvoir les grandes politiques publiques de lutte contre le réchauffement climatique. Le renoncement à l’automobile dans les métropoles comme dans les campagnes n’est envisageable que si les transports sont non seulement accessibles, mais offrent un niveau de régularité, de sécurité et de confort conforme aux attentes des salariés modestes, des jeunes en formation, au travail ou en recherche d’emploi, encore très dépendants de la voiture pour leur activité et leur vie quotidienne.
Rétablir la possibilité de l’ascension sociale et garantir des conditions égales de dignité
S’engager pour la justice, c’est d’abord s’engager résolument dans le combat pour les droits des femmes et pour l’éradication des violences dont elles sont les victimes. Le féminisme est indissociable du combat pour le progrès. La belle idée théorisée par Gisèle Halimi en 2008, « la clause de l’Européenne la plus favorisée », doit enfin se concrétiser. Dans tous les domaines de la vie en société, nous devons prendre comme référence les pays européens où les législations sont les plus progressistes sans se laisser intimider par les lobbies conservateurs, aussi puissants soient-ils.
Pour plus de justice, il nous faut renouveler les conditions d’adhésion au contrat social en rétablissant la possibilité de l’ascension sociale et en garantissant des conditions égales de dignité. Cela suppose notamment de mieux prendre en compte les difficultés de nos concitoyens en situation de handicap : revalorisation des aides, valorisation du rôle des aidants familiaux, meilleur accès aux services publics et donc aussi à l’école. En effet, la dignité de notre société se mesure à sa capacité à réduire les inégalités notables et inacceptables qui subsistent en son sein. La société, lorsqu’elle se fige, consacre toujours les héritiers et n’assure plus la promesse républicaine d’un avenir meilleur pour les générations nouvelles et les plus vulnérables.
Porter le projet d’un progrès qui protège c’est aussi combattre fermement les inégalités en matière de santé. Trop souvent encore, nos concitoyens en situation de précarité ne bénéficient pas d’une garantie d’accès aux soins. Améliorer leurs conditions de vie et assurer leur dignité passe donc par le déploiement de politiques publiques plus volontaristes, notamment par le renforcement de la médecine préventive dont on sait qu’elle est encore plus indispensable pour les plus précaires et les plus isolés. Au-delà, la consolidation de l’hôpital comme pilier des politiques publiques d’accès à la santé de tous les Français doit redevenir l’une des priorités de l’action de l’État, en revalorisant les métiers, en soulageant les urgences et en luttant contre les déserts médicaux grâce à une politique d’incitation véritablement attractive.
Pour que le futur ne soit pas une fatalité, notre système éducatif doit être repensé comme la pierre angulaire d’une société renouant avec la bienveillance, le respect et la confiance dans la science, le progrès, les savoirs. Cela suppose la revalorisation des salaires des professeurs, qui doit manifester toute l’estime dans laquelle la société les tient mais aussi leur recrutement en nombre suffisant – au même titre d’ailleurs que pour les soignants, les « gardiens de la paix », ou les personnels de justice. La centralité de l’école dans les projets et les budgets, c’est aussi celle de la laïcité. La séparation des églises et de l’État est un principe de liberté – celle de croire ou de ne pas croire – et de concorde – la foi des uns ne fait pas la loi des autres, encore moins celle de tous. Face aux séparatismes religieux ou ethniques, au différentialisme et aux relativismes culturels, face à l’affirmation d’un islam politique qui hait l’universalisme français et soumet nos compatriotes de confession musulmane au joug d’une radicalité religieuse – alors même que ces derniers aspirent à vivre en paix dans la communauté nationale – la laïcité est ce trésor commun qu’il nous faut défendre sans relâche. Vouloir encore et toujours la République laïque c’est désirer ardemment l’égalité et le respect de l’autre, dans sa singularité, en raison du creuset de valeurs que nous avons en partage et qui nous permet de transcender nos différences. Les inégalités de destin s’inscrivent aussi dans les difficultés d’accès au logement. Les communes qui dérogent au principe même de la mixité sociale, malgré les pénalités financières, doivent être conduites à relancer la construction de logements sociaux. Les logements existants doivent être remis aux normes en alliant l’objectif d’une amélioration de la qualité de la vie à celui de la transition écologique. Enfin, vecteur d’insertion et de stabilité, l’accès au logement pour les familles monoparentales et les ménages sans domicile doit constituer une priorité. Le sans-abrisme n’est pas une fatalité, pas plus que l’attente prolongée de milliers de familles et d’enfants dans les hôtels sociaux. C’est par une politique ambitieuse et exigeante en matière de logement que les Français les plus en difficulté pourront recommencer à adhérer au contrat social et républicain.
Il est aujourd’hui encore du devoir des sociaux-démocrates de rappeler que les victimes des inégalités, les citoyens relégués par les effets de l’injustice de la naissance ou de l’existence, n’ont pas à être privés de la possibilité d’une redistribution équitable des fruits de leur travail. Notre politique ne peut plus seulement être celle de l’emploi mais bien celle du travail qui doit être repensée à l’aune de la transition écologique avec les travailleurs, les syndicats et le patronat. S’il faut rompre avec le toujours-plus, la simple affirmation de ce mantra ne trace aucune piste et dissimule la complexité des réformes à venir.
L’un des enjeux du monde du travail est de fournir des emplois de qualité, assurant non seulement un plus grand bien-être des salariés, mais aussi des progrès en matière de productivité et d’efficacité globale. L’ensemble des secteurs professionnels devront se faire plus sobres sans pour autant renoncer à l’ingéniosité française. Les progrès du travail et des technologies, en un mot du génie mécanique à l’œuvre dans toutes les réalisations humaines, sont un fait : il sera le moteur des solutions de demain, dans les secteurs qui demandent beaucoup de main-d’œuvre comme dans ceux qui en mobilisent moins. Pour que le progrès soit réel, il faut qu’il soit complet. Cela suppose qu’il soit maîtrisé, qu’il s’appuie sur les formidables potentialités du génie humain mais qu’il reste sans cesse guidé par les principes éthiques. Car le progrès n’est digne de sa promesse que s’il sert à lutter contre les injustices et les inégalités. Nécessairement technique, il doit être impérativement mis au service du quotidien des employés, augmentant la qualité de leur travail. Ainsi, le progrès pourra s’incarner dans l’efficacité de nouvelles méthodes qui assurent la protection des salariés, et non le sacrifice de la qualité de leur vie au travail ou de leur sécurité.
Cette exigence est d’autant plus indispensable à l’âge de l’individualisation des métiers et de la numérisation des organisations. Cette mutation ne peut se faire que si le travail paie, que si la dignité des Français résulte aussi de leur labeur. Dans cette place reconnue donnée au travail, la plus grande intégration des syndicats et de leurs représentants à la vie de l’entreprise sera essentielle autant que fondatrice. Elle permettra un meilleur partage de l’information, une plus grande représentation des salariés dans les instances de décisions et de rémunérations, une redistribution plus juste de la valeur produite. C’est l’entreprise tout entière qui doit redevenir un espace de discussions et de compromis et non le lieu de toutes les confrontations et dominations, car elle est une communauté humaine essentielle pour relever les défis collectifs et favoriser un accomplissement individuel.
De progrès, la réforme des retraites doit l’être impérativement. Celle qui consisterait à repousser toujours plus loin l’âge de départ serait injuste et inefficace, en perpétuant l’idée que toute réforme est destinée à imposer d’abord des reculs de notre système de protection sociale, en niant les différences d’espérance de vie entre les Français, la pénibilité de certains métiers et en négligeant l’enjeu essentiel de l’emploi des seniors. Une telle approche n’aurait pour résultat que de dégager des marges budgétaires dans le cadre d’une politique sans vision ni projet à long terme. De surcroît, aucune modernisation du système visant à sauvegarder le principe solidaire de la répartition se sera possible sans que soient prises en compte la pénibilité du travail et la possibilité de partir en retraite de manière anticipée – en particulier dans le cas des carrières longues. La question du niveau des retraites les plus basses reste centrale : elles devront être réévaluées.
Face au changement climatique, l’immobilisme est criminel
Il appartient aussi aux sociaux-démocrates de ne jamais rendre incompatibles, par dogmatisme, la réduction des inégalités et l’ambition écologique. Cette politique sans nuance aboutirait au risque de voir les élites divorcer définitivement des classes populaires et d’une part croissante des classes moyennes, sans le concours desquelles les objectifs climatiques échoueraient à trouver leurs débouchés démocratiques. Le mouvement des ronds-points, à l’automne 2018, a témoigné de l’ampleur de ce dilemme et de l’impasse que représente, pour les gouvernements, la mise en opposition du sauvetage de la planète et du besoin de protection des populations les plus fragiles. Il est donc du devoir des nations de faire converger les objectifs de politiques publiques, définis dans le cadre des conférences pour le climat, au sein d’un agenda international crédible qui rende le marché et la justice sociale possibles, en privilégiant les filières d’excellence de la grande mutation écologique.
Face au changement climatique, l’immobilisme est criminel. Les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son dernier rapport, sont sans appel, qui pointent notre responsabilité collective dans le réchauffement global de l’atmosphère, des océans et des continents. Le lien entre les émissions de CO2, résultant des activités humaines, les dérèglements climatiques, les manifestations météorologiques extrêmes impactant les territoires où nous vivons, donnent une dimension d’urgence au défi climatique. Le moment d’agir ne peut plus être différé. L’urgence environnementale, celle qui concerne le climat et la biodiversité, la qualité de l’air et l’accès à l’eau, est une urgence vitale. Elle est devenue existentielle au sens où de son issue dépend, à très brève échéance, la possibilité même de la vie. Le bouleversement climatique est en effet sans précédent. Il s’accélère comme un processus désormais hors de contrôle, face auquel il faudrait une volonté unanime des États et des organisations internationales pour retrouver la maîtrise de notre destin. La hausse du niveau des mers, la fonte des calottes glaciaires et le réchauffement climatique qui s’accélèrent constituent un point de basculement dont les conséquences, à court terme, pourraient se révéler à la fois irréversibles et imprévisibles. S’il est encore possible de limiter la hausse des températures à l’horizon 2050, l’effort pour y parvenir sera tel qu’il ne s’accomplira pas en faisant l’économie d’une stratégie concertée des nations, elles-mêmes armées d’un surcroît de détermination ou de volonté.
En 2015, lors de la conférence de Paris pour le climat, la France a incarné une ambition pour la planète. Ce qui paraissait alors hors de portée s’est traduit par un accord historique, dont la feuille de route a soulevé une espérance, en montrant le chemin d’une possible réconciliation entre la production, maîtrisée dans ses effets, et l’indispensable transition écologique. Depuis, la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre de la France indique qu’elle ne tiendra pas ses objectifs climatiques de Paris. La production bas-carbone de notre électricité grâce à la filière nucléaire française constitue l’une de nos forces pour tenir nos engagements. Mais elle est largement compensée par nos retards – dont nos nombreuses importations très intenses en charbon – nos mobilités encore trop polluantes ou encore notre filière renouvelable insuffisamment développée.
Une nouvelle approche de l’intervention de la puissance publique
La réussite de la transition passe par une nouvelle approche de l’intervention de la puissance publique. Il est pour les Français inconcevable que les compétences, les investissements et les actions conjointes de l’État, de la puissance publique locale, et d’abord des régions et des métropoles, des grands opérateurs publics et des entreprises ne soient pas mieux coordonnés et planifiés pour permettre la réduction de la fracture territoriale dans des conditions qui soient compatibles avec l’urgence climatique. La politique énergétique doit trouver son équilibre entre la promotion du renouvelable, la modernisation du parc nucléaire, la poursuite des programmes de réduction de la consommation d’énergie. Dans cette perspective, l’accélération de la mise aux normes environnementales des bâtiments publics et privés doit continuer à mobiliser les pouvoirs publics nationaux et locaux. De même, la commande publique doit être plus responsable et ses acteurs –État, collectivités locales, bailleurs, etc. – activer les nouveaux leviers de la loi sans attendre. Le combat de la transition est aussi celui de l’Europe. Les plans de relance européens et les capacités d’investissement des différents instruments de l’Union ne peuvent être une chance pour les territoires soumis à l’urgence climatique que si, dans chaque pays, des capacités d’anticipation et de planification s’organisent autour de la transition énergétique. Encore faut-il associer les territoires à la définition des projets et déconcentrer l’État pour qu’il coordonne leur mise en œuvre.
Pour réussir le défi écologique, nous devons bâtir une méthode et tracer des perspectives en nous appuyant sur nos entreprises. Notre industrie est composée d’un maillage de milliers d’entreprises qui conçoivent et développent des solutions pour la neutralité carbone collective, favoriser l’écoconception des produits, réduire l’empreinte de leurs productions sans en altérer la qualité et l’utilité, réinventer les modèles économiques pour qu’ils soient fondés sur la circularité et la fonctionnalité – sur l’économie des usages. Le combat qu’elles mènent est d’intérêt général et le renforcement du soutien public à leurs initiatives, une nécessité. Mais il faut aller plus loin et porter une véritable vision d’avenir. En lien avec nos partenaires européens, nous devons faire émerger de grands champions dans les domaines clés de la transition écologique – énergies, mobilités, infrastructures numériques et portuaires, éco-matériaux, agro-écologie. C’est un impératif de soutenabilité et de souveraineté. L’Europe, qui dispose de nombreux atouts pour une croissance en conscience et au sein de laquelle la France doit assumer un rôle de chef de file, permettra la sauvegarde durable de notre environnement en fournissant aux États les moyens de faire face de manière stratégique aux crises à venir.
L’Union européenne demeure pour nous la grande espérance pour notre pays
L’Union européenne demeure pour nous la grande espérance et le grand projet non seulement pour le continent mais pour notre pays. La construction européenne repose sur le principe d’un ordre en droit, inscrit dans la Constitution de la République. L’Europe est à la fois notre meilleur bouclier dans un monde chaotique et notre meilleur chemin pour le futur. Elle montre depuis 2016 sa résilience et son efficacité face aux crises. Qu’il s’agisse de l’unité enfin trouvée des Vingt-Sept face au Brexit, de la politique de vaccination continentale, du plan de relance et de la mutualisation des dettes, ou encore de la réponse commune face à la guerre que la Russie de Vladimir Poutine a engagée contre l’Ukraine et son peuple. Certains pensent que l’Union se trouve à l’origine de l’incapacité du continent à défendre ses intérêts, alors même que c’est la faiblesse de l’ambition européenne qui seule explique cet échec. Efficace face aux crises, l’Union est par ailleurs indispensable pour pouvoir peser dans ce qu’il convient d’appeler l’Ère des Empires. Sans l’Union, l’Europe restera la cible trop passive des appétits chinois, américains et russes. Elle est aussi un pôle de puissance et de stabilité dans un ordre mondial menacé par des organisations nouvelles, conjuguant terrorisme, trafics, cyber-criminalité. La géopolitique du futur est aussi celle des défis climatique, migratoire, sanitaire, des batailles pour l’accès à l’eau, au soin et à la démocratie. Avec l’Union et dans le fracas du monde, l’Europe pourra organiser la défense de ses valeurs, de ses intérêts et de ses emplois, et assurer enfin la mise en œuvre d’une volonté politique et stratégique réaffirmée.
À l’instar de notre filière nucléaire, la France a montré par le passé qu’elle était capable de lancer de grands programmes technologiques, industriels et de recherche destinés à maintenir son rang dans le monde et à garantir son indépendance et sa souveraineté. Il a fallu attendre l’étrange concept d’entreprises sans usines – c’est-à-dire l’avènement d’une conception exclusivement libérale de la division du travail à l’échelle planétaire – pour que notre pays accepte, comme une fatalité, le lent déclin de son industrie, dont les effets sur sa capacité de résilience ont été durement éprouvés au moment de la crise sanitaire. Beaucoup ont préconisé la réindustrialisation à marche forcée de la France, sans jamais faire la part de ce qui était désormais stratégique pour elle et de ce qui avait cessé de l’être depuis longtemps. Dans toutes les hypothèses évoquées et retenues, on peinait à trouver la méthode et le début d’un chemin de crédibilité. À grand renfort de slogans parfois grandiloquents, annonçant la démondialisation, on semble faire l’impasse sur la dimension internationale des grandes causes à défendre – et d’abord la lutte contre le réchauffement climatique – qui suppose que les nations les plus engagées puissent projeter, par-delà leurs frontières, une ambition universelle, en coordonnant leurs initiatives. Il s’agit de faire en sorte que les efforts accomplis par les uns, avec la préoccupation de la vie sur la planète, ne soient pas détruits par le nationalisme égoïste des autres, soucieux d’affirmer la domination de leurs produits, de leurs industries, de leurs normes et de leurs capitaux sur le reste du monde. L’utilisation extraterritoriale du droit a montré que dans cette compétition pour l’affirmation d’intérêts parfois puissants, tous les coups pouvaient être portés, et que l’Union européenne se trouvait généralement désarmée lorsque de grands pays transformaient en instrument assumé de leur hégémonisme certaines réglementations ou législations élaborées par eux. Ce chemin qui consiste à réduire le monde à un affrontement entre blocs économiques n’est ni viable ni durable.
Redonner à la puissance publique les moyens d’opérer la transformation sociale et écologique
Pour porter cette ambition de renouveau, notre vision sociale-démocrate est plus que jamais pertinente et fait preuve de sa modernité : elle affirme la nécessité de donner à la puissance publique, à l’échelle européenne, nationale et locale, les moyens d’opérer la transformation sociale et écologique. Rien de significatif ne se fera donc sans le renforcement de l’intervention de la puissance publique, sans l’affirmation par l’État de ses prérogatives, sans l’association des citoyens à une ambition commune et qui donne un sens au tout qu’ils constituent ensemble, au cœur des territoires où ils vivent. Cette ambition porte le beau nom de Nation.
Elle ne peut pas être un repli ni une fermeture sans dommages dont il suffirait d’évoquer les vertus pour nous guérir de nos insuffisances et nous protéger d’un monde hostile. Dans le lent processus historique ayant abouti à son avènement, la France a vu l’État préexister à la Nation. Le pacte qui s’est noué entre des citoyens aspirant à la liberté et formant pour l’humanité des vœux universels a donné à la souveraineté une dimension singulière, indissociable d’une irrépressible aspiration à la démocratie et dont la forme républicaine a mis du temps à éclore. C’est dans le temps long de son histoire que la République est parvenue à se doter d’institutions à même de réaliser son projet. Parmi les thuriféraires de la VIe République, figurent nombre de ceux qui rêvent du retour de la IVe, amputée de ses talents. Ce serait sans doute là le terrain le plus favorable à l’assouvissement des calculs d’appareils et des ambitions personnelles les plus indicibles. Alors que depuis plus de soixante ans, notre pays a connu de multiples alternances qui ont permis à des majorités de sensibilités différentes de mettre en œuvre leurs programmes, que les cohabitations successives se sont déroulées sans heurts, que des crises le plus souvent profondes ont pu être surmontées sans que l’indivisibilité de la Nation ne soit rompue, on voudrait s’en prendre à ce qui tient encore, comme pour faire oublier ce qui ne tient plus aux yeux des Français et qui relèvent d’un lent processus d’abaissement des comportements politiques. Faut-il pour autant ne rien faire du tout et ne plus rien oser ? Doit-on tout conserver en l’état, au motif qu’il y aurait dans le mouvement possible des choses une prise de risque dont la France n’aurait plus les moyens ? On ne peut avoir été si longtemps au pouvoir et prétendre y revenir un jour, sans avoir une juste idée des urgences de l’époque et des moyens à mobiliser pour y faire face en conduisant les réformes nécessaires.
Rien de l’ambition nationale ne peut se concevoir sans un État déconcentré fort, retrouvant sous la coordination des préfets les moyens d’une action ancrée dans les territoires et donnant un visage humain à l’administration. Dans cet esprit, tout entier tendu vers l’objectif de l’amélioration de la qualité du service public, nous pouvons parvenir à recréer une efficacité de l’action publique, en rompant avec les logiques d’attrition qui ont prévalu.
Rien de tout cela ne peut se réaliser sans un pacte de confiance renforcé avec les collectivités locales. Notre République vit du fait que des personnes sont prêtes à assumer des fonctions publiques et à assurer sur le terrain l’indispensable dialogue quotidien avec leurs concitoyens, sans se défausser de leurs responsabilités sur l’État. Ces femmes et hommes sont les maillons essentiels de la démocratie représentative et sont le gage d’une action publique de proximité à tous les échelons-clés, municipalités, intercommunalités, départements et régions.
Ainsi, les territoires sont le socle démocratique de notre République. Pour nous, sociaux-démocrates, la décentralisation est une démocratisation. Elle n’affaiblit pas l’État, elle est même le levier indispensable de la réindustrialisation de notre pays et donc de sa souveraineté, en s’appuyant notamment sur l’excellence des régions. Il n’y aura donc pas de modernisation de l’économie et du plus globalement du pays sans une nouvelle étape de décentralisation qui soit ambitieuse.
Multiplier les espaces de dialogue et de concertation
Ce n’est qu’en multipliant les espaces de dialogue et de concertation que l’on évite les courts-circuits politiques. Pour donner du sens à la vie de la Nation, nous souhaitons des corps intermédiaires structurés et puissants : des partis, des syndicats, ainsi que des institutions valorisées dans leur rôle et fonctionnant régulièrement. Il faut un Parlement qui ne soit pas un théâtre d’ombres et des représentants du peuple qui ne rompent pas le lien avec ceux qui leur ont témoigné leur confiance, au prétexte qu’il faut « faire moderne » et que les réseaux dits sociaux, avec leurs injonctions et leur bruit, suffiraient à dégager un chemin de crédibilité et de raison. On ne peut faire en politique l’économie du lien réel au citoyen. C’est pourquoi la primauté et la centralité du suffrage universel doivent être réaffirmées dans notre contrat social et démocratique.
Il n’est qu’à constater l’effacement progressif des deux assemblées législatives pour mesurer combien l’arrivée d’une classe politique sans ancrage n’a encore rien engendré de nouveau et que l’éloignement d’une base à laquelle on s’astreint à rendre des comptes réduit la politique à un jeu exclusivement tactique, destiné à se sauver soi-même. Il faut à la Nation un gouvernement qui ne soit pas composé que de collaborateurs serviles, fébriles à l’idée de tout perdre, en prenant le risque d’offenser le prince.
Et que reste-t-il des organisations qui firent si longtemps battre le cœur de la démocratie en défendant les intérêts des salariés ? Certaines d’entre elles se sont parfois montrées plus préoccupées de la préservation de leur pré carré que de la recherche des compromis utiles, permettant de faire progresser des causes justes, après avoir été arrachées de haute lutte. Encore faut-il qu’elles soient considérées par le pouvoir comme des partenaires et non des adversaires.
Quant aux associations et aux mouvements de l’éducation populaire, ils n’ont cessé d’être négligés, recevant les saluts enflammés à la fin des discours alors que leurs bénévoles méritent reconnaissance, leur contribution au pacte social et à l’autonomie de la jeunesse exigent le respect, et leurs missions imposent accompagnement moral et financier.
Enfin, le soutien à la culture et la promotion des activités culturelles dans toute leur diversité doit être assumé comme une tâche impérative de la puissance publique. La culture est nécessaire à la vie et indispensable aux citoyens pour voir et comprendre le monde. Pour affronter ses nombreux défis, la Nation a bel et bien besoin de femmes et d’hommes éclairés à l’esprit civique et donc critique, libérés du seul économisme et rétifs à l’uniformisation culturelle, sensibilisés aux arts, épris de l’amour du beau, de tout ce qui fait aussi la France. Éducation, urbanisme, paysages, création, le droit au beau est bien plus qu’une exigence esthétique, il est un impératif catégorique d’émancipation individuelle, de transmission et de construction collectives, et de rayonnement national.
La conviction d’appartenir à la même condition humaine
C’est dans l’affirmation à chaque instant de ce que l’on est et de ce à quoi on croit que réside le vrai courage. Il n’est pas de grand fleuve qui ne procède d’une source claire. Il en va de même en politique. La victoire appelle toujours une force suffisamment puissante, pour que le courant imprime sa vitesse et que plus rien ne parvienne à l’interrompre. La satisfaction qu’engendrent les concessions faites à la radicalité est par la force des choses éphémère. Elle est comme une tentative de dérivation du fleuve par ceux qui ont oublié qu’il se dirige inéluctablement vers la mer, lorsqu’il demeure fidèle à sa source.
Il nous faut donc libérer un paysage politique dévasté et reconstruire pas à pas ce qui doit l’être : des organisations politiques tournées vers la Nation et son bien, armées de la sincérité sans laquelle il ne peut y avoir de confiance et portant un projet où l’audace ne va pas sans la part de risque qu’appelle la recherche constante de la juste position. Pour y parvenir, on aurait tort de se satisfaire des postures grandiloquentes de l’insoumission, en acceptant le mariage de l’inconséquence et de la violence, dans un nihilisme où la colère empêcherait l’avènement de l’espérance. L’amour de la justice et de l’égalité ne place pas spontanément ceux qui en sont les porte-drapeaux sur un chemin de roses. La gauche à laquelle nous croyons est pétrie de l’esprit de nuance, dont il est de notre devoir moral de faire l’éloge pour restituer au peuple des citoyens la complexité d’un monde dont nous aspirons à maîtriser le destin.
L’indignation est nécessaire mais ne suffit pas à mettre en mouvement des sociétés où des fossés se creusent, au point que les plus vulnérables, désespérés de ne pouvoir un jour rencontrer le progrès, se jettent dans les bras de populismes et d’extrémismes qui les instrumentalisent et les dupent, peu soucieux de résoudre les problèmes dont l’aggravation leur sert de rente électorale. Mais ce cynisme, enkysté depuis des décennies dans le débat public et dont l’élection présidentielle a montré l’extension géographique et sociale, n’est pas une fatalité. Il nous présente simplement les comptes de nos manquements et de nos renoncements successifs, lorsque nous abandonnons le peuple à ceux qui le trompent et que nous avons depuis longtemps cessé de lui parler, pour ne privilégier que des catégories d’intérêts ou des communautés d’appartenance.
Les combats de la gauche sont indissociablement liés à la passion de la République et à la nécessité d’en préserver toujours les valeurs, les institutions et la citoyenneté. L’unité et l’indivisibilité de la Nation appellent un effort constant de ses représentants pour ne pas perdre le fil d’une histoire faite de conquêtes, de reculs, de déceptions, mais aussi de conscience et de culture politique constamment soumises à l’examen critique d’esprits demeurant libres, en même temps que profondément unis les uns aux autres par la conviction d’appartenir à une même condition humaine.
C’est cette conviction qui constitue le creuset de la promesse universelle de la République et de la France, celle avec laquelle on ne peut transiger : ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui pourrait nous diviser un jour. De là vient que le premier de nos devoirs est d’affirmer que l’unité de la Nation relève du travail de chacun, c’est-à-dire d’un effort qui conditionne la réussite et l’avènement des ambitions que nous pouvons porter collectivement et au premier rang desquelles doit subsister, à tout prix, le désir de demeurer ensemble. Car la République n’est pas seulement l’enjeu des gouvernants : elle est d’abord l’affaire des citoyens.
Qui s’estime comptable de cette histoire ne peut admettre que les grandes causes qui firent les plus ardents combats de la gauche soient ainsi abandonnés. La suspicion cyniquement entretenue à l’égard de chacun dans la compétition de tous contre tous ne conduit qu’à excommunier les plus modestes et leur interdire de participer à la grande aventure humaine pour la reconnaissance de leurs droits et de leur singularité. Il n’y a rien dans cette tension délibérément entretenue qui puisse ressembler au progrès, rien qui puisse susciter l’espérance. Les exigences d’égalité et de justice, le rejet du racisme, de l’antisémitisme, des discriminations, de la violence à l’encontre des plus vulnérables ne peuvent pas être simplement portés par une partie de la Nation, mais par elle tout entière. La laïcité, la liberté, l’égalité et la fraternité continueront à perdre leur force d’entraînement, aussi longtemps qu’elles n’auront pas retrouvé leur utilité pratique, celle d’outils qu’on utilise pour atteindre un but, comme on construit une maison ou cultive un jardin.
Il n’y a pas l’inéluctabilité de la droitisation de la société, de la réaction et de l’extrémisme de droite ou de gauche accomplissant leur œuvre destructrice. Il n’y a que le risque pour les forces sociales de se tromper de route et de laisser à leurs opposants le soin de préempter un héritage séculaire en le dilapidant et en le trahissant. C’est là pour nous l’essentiel qui prévaut face aux agitations d’estrade et aux ambitions pour soi-même. C’est cette quête du sens profond de l’égalité et de la Nation que nous porterons, car elle seule peut porter notre espérance.