Par la plume de Fanny Darcillon, le syndicat Force Ouvrière rapporte une communication de l’Institut syndical européen.
Les politiciens européens doivent envoyer un message clair aux employeurs
Une étude de l’Institut syndical européen affirme que le manque de personnel touche principalement les secteurs offrant des salaires bas et des conditions de travail médiocres, relativisant l’idée d’une pénurie de compétences des travailleurs.
A la faveur de « l’Année européenne des compétences », plan de communication de l’Union européenne pour 2023 visant à réduire les pénuries de main d’œuvre, le débat public est plus que jamais tourné vers l’idée d’une inadéquation des profils des travailleurs avec les besoins des employeurs. Le taux d’emplois vacants en Europe atteint aujourd’hui des records : plus d’un quart des entreprises se plaignaient en 2022 d’une pénurie de main d’œuvre affectant leur production.
Mais face à l’argument d’un déficit de compétences des travailleurs européens, très souvent mis en avant par le patronat, l’Institut syndical européen (ISE) – le centre de recherche et de formation de la Confédération européenne des syndicats (CES) – propose une interprétation complémentaire. Dans une étude parue mi-avril, l’ISE démontre que les pénuries records de main d’œuvre s’aggravent avec la dégradation des salaires et des conditions de travail.
Ainsi, le manque de personnel a davantage augmenté au sein des secteurs proposant des salaires bas, et se trouve plus marqué dans les milieux et les postes non concernés par une demande de compétences élevées. De plus, entre 2019 et 2022, ce sont dans les domaines offrant des conditions de travail difficiles que les pénuries de main d’œuvre ont le plus augmenté. La pénurie actuelle pourrait se révéler être une pénurie de personnes disposées à effectuer un travail éprouvant et mal rémunéré, résume l’auteur de l’étude.
Un rejet croissant des mauvaises conditions de travail
Les manques de main d’œuvre spécifiques à certains secteurs reflètent ainsi une tendance des travailleurs à quitter des positions médiocres : temps partiels subis, contrats courts, manque d’autonomie dans la réalisation des tâches, pression, horaires décalés, exigence de flexibilité dans leurs disponibilités. Les domaines professionnels proposant ces conditions de travail ont vu leur pénurie de salariés s’accroître davantage que les autres, de même que les secteurs où les travailleurs gagnent moins de 60% du revenu médian, soit le salaire minimum que l’UE pourrait être amenée à fixer.
Cette publication de la CES s’inscrit d’ailleurs dans le contexte d’une campagne syndicale pour assurer une transposition rapide de la directive (UE) 2022/2041 du 19 octobre 2022 relative à des salaires minimaux adéquats dans l’UE, souligne le secteur International-Europe de FO. Cette directive a pour but de renforcer les salaires minimaux dans les États membres de l’UE et de stimuler la négociation collective en matière salariale.
Il est temps que les politiciens européens arrêtent cette valse-hésitation autour de la raison des pénuries de main-d’œuvre et envoient un message tout aussi clair aux employeurs, appuie Esther Lynch, secrétaire générale de la CES. Selon l’étude de l’ISE, la pandémie a probablement accru la volonté des salariés de ne plus travailler dans de mauvaises conditions pour des salaires de misère : nombre de travailleurs de « première ligne » ont été contraints de prendre des risques et ont reçu pour cela des louanges, mais pas de reconnaissance concrète.
L’enjeu des compétences, pertinent pour certains secteurs
Face à ce manque de main d’œuvre, les directions des entreprises tout comme la Commission européenne semblent voir deux axes se dessiner : augmenter les compétences des travailleurs, et faciliter la mobilité de travailleurs immigrés. Deux solutions à la vue courte et qui pourraient être dommageables à la qualité des emplois, souligne l’étude. Certes, tel un enjeu, la formation – notamment continue – des travailleurs ne doit pas être remisée au placard. Lors des débats du sommet social tripartite de mars 2023, Esther Lynch a estimé que 50 à 60 % de la main-d’œuvre ne possèdent pas les compétences dont nos industries ont besoin et ne se voient pas offrir la possibilité de se former afin d’acquérir ces compétences. Un point d’autant plus saillant dans les technologies de l’information et de la communication. Mais les pénuries les plus marquées s’observent en réalité dans des secteurs et pour des profils ne nécessitant pas particulièrement de compétences plus élevées.
Quant à l’appel aux travailleurs immigrés, l’ISE met en garde contre une probable fausse solution, dans la mesure où les secteurs professionnels connaissant des pénuries sont souvent les mêmes d’un pays à l’autre en Europe. Autre risque : comme ces travailleurs immigrés sont souvent surqualifiés et sous-payés pour ces emplois, leur afflux pourrait avoir un effet négatif sur la qualité générale des conditions de travail et les salaires.
La négociation collective au secours du manque de personnel
Face à ces constats, la CES rappelle la nécessité d’accroître la puissance de négociation collective. Elle demande également à l’UE de conditionner certaines aides financières apportées aux entreprises au fait d’offrir à leur personnel des formations, de meilleurs salaires et conditions de travail, garantis par des conventions collectives. Ce qui rejoint la revendication de FO d’une conditionnalité des aides publiques aux entreprises.
La conjoncture pourrait en effet amener une modification dans les rapports entre patronat et salariés. L’ISE rappelle une idée fondamentale en matière de lutte pour les droits des salariés : Un marché du travail tendu signifie que les travailleurs ont plus de choix et sont en mesure de rejeter certains emplois.