Après la mobilisation massive du 19 janvier, la mobilisation historique du 31, l’objectif de la troisième journée nationale interprofessionnelle de grèves et de manifestations était de maintenir la pression.
L’exécutif portera l’entière responsabilité des suites de ce mouvement social
Avec près de 2 millions de manifestants dans toute la France, soit autant que le 19 janvier, la troisième journée nationale interprofessionnelle de grèves et de manifestation contre le projet de réforme des retraites a montré combien la détermination des travailleurs reste inédite par son ampleur et son ancrage. A l’issue de la journée, l’intersyndicale a appelé toute la population à manifester encore plus massivement le samedi 11 février sur l’ensemble du territoire. Le gouvernement et les parlementaires ne peuvent pas être sourds à cette mobilisation puissante, martèle le communiqué commun, qui met en garde. L’exécutif portera l’entière responsabilité des suites de ce mouvement.
Après la mobilisation massive du 19 janvier, la mobilisation historique du 31, l’objectif de la troisième journée nationale interprofessionnelle de grèves et de manifestations était de maintenir la pression. La réussite est complète : avec près de 2 millions de manifestants dans toute la France (autant qu’à la première journée d’action), ce 7 février a mis en lumière l’indiscutable dynamique qui s’est créée, et l’inscription du mouvement dans la durée.
Cette troisième journée a confirmé, s’il était encore nécessaire, la très forte détermination à refuser le projet de réforme des retraites présenté par le gouvernement, a constaté dans la soirée l’intersyndicale (les huit organisations de salariés et cinq organisations de jeunesse), qui veut mettre la barre encore plus haut, lors du prochain temps fort, déjà annoncé et dans les esprits. Elle a appelé toute la population à manifester encore plus massivement le samedi 11 février sur l’ensemble du territoire pour dire non à la réforme.
D’ici là, en ce temps compté de trois jours, contraint par le calendrier parlementaire puisque le projet de loi est débattu dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale depuis lundi 6 février (et jusqu’au 17 février minuit), elle invite, partout sur le territoire, à interpeller les députés et les sénateurs. Pour les appeler à prendre leurs responsabilités, en rejetant le texte gouvernemental. Elle invite à multiplier les actions, initiatives, réunions ou assemblées générales, dans les entreprises et services, dans les lieux d’étude, y compris par la grève. Pour maintenir la pression. Ce n’est qu’à l’issue de la journée du 11 février —la quatrième depuis la présentation du projet, la deuxième en une semaine— que l’intersyndicale annoncera la suite. Elle a déjà prévenu mardi soir, en soulignant la mobilisation, depuis le 19 janvier, de millions de travailleurs, du public et du privé, jeunes et retraités de plus en plus exaspérés de ne pas être entendus par le gouvernement : L’exécutif portera l’entière responsabilité des suites de ce mouvement social inédit par son ampleur et désormais ancré dans le paysage social. Avant de conclure : Le gouvernement doit retirer son projet sans attendre la fin du processus parlementaire.
Une mobilisation toujours massive et étendue à tout le territoire
Car comment nier l’évidence ? La puissance de la mobilisation, qui a poussé 400 000 manifestants à défiler à Paris ce 7 février, soit autant que le 19 janvier. Et l’ancrage du mouvement, qui continue de s’exprimer par des rassemblements massifs dans un grand nombre de villes, y compris moyennes et petites. Ce mardi, les chiffres ont encore étonné : 50 000 manifestants à Bordeaux (Gironde), 80 000 à Toulouse (Haute-Garonne), 30 000 à Lyon (Rhône), 25 000 à Rennes (Ille-et-Vilaine), 15 000 à Montpellier (Hérault), 7 000 à Montauban (Tarn-et-Garonne), 4 000 à Albertville (Savoie)… Liste non exhaustive. Et les manifestants ne sont pas seuls à s’élever contre le projet de réforme. Les uns après les autres, les sondages montrent l’opposition largement majoritaire des Français au recul de l’âge légal de départ à 64 ans et à l’accélération de l’allongement de la durée de cotisations nécessaire, pour obtenir une retraite à taux plein. Plus de 9 travailleurs sur 10 rejettent la réforme, plus des 2/3 de la population soutiennent les mobilisations, a résumé l’intersyndicale. Selon le sondage paru la veille, 65% des Français sont opposés à la réforme. Autant que la semaine précédente !
Ce soutien est renforcé par les nombreux experts qui dénoncent l’injustice et la brutalité de la réforme, et pointent les éléments justificatifs insuffisants, peu quantifiés voire erronés, a rappelé l’intersyndicale.
Le texte débattu à l’Assemblée nationale, avec quelque 20 000 amendements, fait la quasi-unanimité contre lui. Et n’y change rien la concession de dernière minute de la Première ministre : dimanche 5 février, elle a annoncé que les travailleurs ayant commencé à travailler entre 20 et 21 ans pourraient partir à la retraite à 63 ans (une « extension » du dispositif carrières longues). Mais l’exécutif reste inflexible sur les fondamentaux de sa réforme. « Cette concession est une mesurette, rappelait dans le cortège parisien Frédéric Souillot, secrétaire général de FO. Celle-ci ne concernerait que 30 000 personnes par an au maximum sur les plus de 750 000 prenant leur retraite chaque année. Avec la réforme, a-t-il martelé, tout le monde va prendre un recul de l’âge de départ, y compris les carrières longues. Les grands gagnants ne reculeront que d’un an.
La réforme, on n’en veut pas, le retrait, on l’obtiendra
Ce mardi 7 février, dans le cortège parisien qui a mis des heures pour rejoindre la place de la Bastille depuis celle de l’Opéra, les banderoles, pancartes, chansons disent la détermination intacte des manifestants : Berceau, boulot, tombeau, Borne to be dead, On a compris, on n’en veut pas !. Ou ce slogan écrit… sur un carton à pizza : On peut être actionnaire à 90 ans, mais pas livreur de pizza, taxons les dividendes. On ne parle pas assez du problème de financement, commente Thierry, délégué FO à la Macif. Le gouvernement a mis en place beaucoup d’exonérations de cotisations sociales pour les employeurs, c’est autant d’argent en moins dans les caisses. On connaît l’adage : quand tu veux tuer ton chien, tu l’accuses d’avoir la rage., appuie le militant, qui propose de taxer la productivité, pour rétablir une retraite à 60 ans.
Le long des boulevards, le cortège FO défile sous une nuée de drapeaux rouges, blancs et noirs. Derrière une banderole des hypermarchés Carrefour, des militants s’époumonent : la réforme, on n’en veut pas, le retrait, on l’obtiendra. FO Com reprend en cœur le slogan la retraite, elle est à nous, on s’est battus pour la gagner, on se battra pour la garder. Dans le cortège des cheminots, les enceintes crachent « Rage against the machine », musique fusion. A la fédération Feets-FO, Laurent, guitare électrique en main, détourne les paroles de « We will rock you » de Queen pour les besoins de la cause. Les textes de ses chansons sont affichés sur les enceintes, et un QR code permet même de télécharger le livret des paroles détournées.
S’organiser pour durer
Beaucoup racontent s’organiser face au coût des journées de grève, qui pèse, d’autant que l’inflation est au plus haut. Béatrice, 54 ans, gestionnaire de sinistres corporels dans une société d’assurances en est à son troisième jour de grève, en journée complète, contre la réforme. Je suis là par solidarité. Je représente des collègues qui ne peuvent pas venir et elles m’y encouragent. Mais dans mon service, un roulement spontané vient de se mettre en place, et des collègues travaillant le samedi feront grève. Dans les centres d’appels aussi, ça parle aussi de débrayer samedi, précise la militante en colère. Elle comptait partir à 62 ans à taux plein, et faire du soutien scolaire : Si la réforme passe, ce sera 64 ans, sans bonus. Deux ans de vie perdue ! Si je travaille, ce n’est pas pour m’épanouir, c’est pour le salaire.
Sous sa pancarte qui indique coiffeur en colère et 64 c’est le prix d’une couleur, pas l’âge de départ, Marine aussi défile au nom de tous ses collègues. Je ne travaille pas le mardi. Donc j’ai pu venir manifester aujourd’hui, comme mardi dernier, confie la jeune femme, 32 ans, préoccupée par la pénibilité de son métier. On est debout toute la journée, on piétine, on fait des gestes répétitifs, on a des troubles respiratoires à cause des produits chimiques. Mais aucun de ces deux critères n’est reconnu. Pour Farid également, financièrement, c’est compliqué de faire grève. Mais c’est un choix, confie cet éducateur de rue en Seine-Saint-Denis, qui manifeste pour la deuxième fois contre la réforme. L’enjeu est de taille, explique-t-il. C’est important de gagner cette bataille sociale face à un gouvernement qui va à marche forcée vers toujours plus de réformes. Ne pas se battre, c’est concéder qu’on a perdu.
Chez Conforama, la mobilisation ne faiblit pas, selon Mouloud secrétaire du CSE central de l’enseigne d’ameublement. C’est la première fois que je vois une telle mobilisation dans des magasins comme à Meaux ou Villeneuve-Saint-Georges. Les salariés n’ont plus peur de s’afficher, appuie-t-il. Certains sont venus manifester pour la première fois. D’autres seront là samedi, alors que c’est le jour le plus important pour le commerce. Ils ont décidé d’alterner les jours de grève pour se répartir les pertes de salaire. Selon lui, la réforme des retraites cristallise une colère plus large, avec notamment les effets de la restructuration chez Conforama, la dégradation des conditions de travail, le manque d’effectif et, bien sûr, les salaires.
Il faut durcir le mouvement
Dans le cortège FO, on croise aussi Lydia, 49 ans, infirmière dans un SMUR de la région parisienne et non-syndiquée. Elle y a rejoint sa sœur militante, qui porte un grand hospitalier en grève en lettres rouges au dos de sa blouse blanche. Les deux dernières fois, je n’ai pas pu être là à cause de mes horaires de travail, des difficultés de transports. Mais il fallait que je vienne. A 64 ans, je ne m’imagine pas enchaîner les gardes de 12 heures. C’est déjà difficile, avec les conditions de travail qu’on a.
La pénibilité de leur métier, c’est aussi ce qui a poussé Younes et Mohamed, agents de sécurité privée, à prendre place dans le cortège. Et ils étaient là bien avant qu’il ne s’ébranle. Je ne nous vois pas courir jusqu’à 64 ans derrière les gens, explique Mohamed, 59 ans. J’espérais partir à 62 ans. Travailler encore cinq ou six ans, c’est trop. Tous deux évoquent la station debout, le travail de nuit, le danger aussi. On n’est pas là que pour ramasser les chariots chez Aldi, poursuit-il. Son collègue, 45 ans, a commencé le métier à 22 ans chez les grands bijoutiers de la place Vendôme. Une chance en termes de conditions de travail, mais il a vécu un braquage assez violent. Je devrais partir à 67 ans pour avoir le taux plein. Avec la réforme, à cet âge-là, j’aurais une pension réduite. Je me prends perpète, dénonce-t-il.
Brigadier à la police judiciaire, Gérard n’a pas manqué une seule journée de mobilisation contre la réforme. Et je serai encore là samedi. C’est obligé, martèle le quinqua, remonté contre les éléments de langage de l’exécutif. La Première ministre affirme sur les plateaux TV qu’elle nous a entendus. Mais elle n’a rien écouté. Avec la réforme, lui verrait son départ en retraite reculer de 58 à 60 ans. Sauf que pour avoir une retraite complète, je devrais travailler jusqu’à 72-74 ans, car je suis entré tard dans le métier. On ne peut pas nous demander l’impossible. A 50 ans, je ne suis déjà plus sur la voie publique. J’y ai laissé un doigt, un genou. Et il n’y a pas de poste doux pour se recaser.
Sur le plateau de BFMTV, mardi dans la soirée, Frédéric Souillot, secrétaire général de FO, était intransigeant sur l’attitude de l’exécutif qui reste sourd au rejet de la réforme, par la totalité des organisations syndicales et l’immense majorité des Français. Des jours comme aujourd’hui, le gouvernement fait comme s’il n’y avait personne dans la rue, dénonçait-il. Il faut donc durcir le mouvement.
Publié mercredi 8 février 2023 par Clarisse Josselin, Elie Hiesse, L’Info Militante
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