Il appartient aux pouvoirs publics d’animer davantage une politique de veille sanitaire et de recherche en santé au travail susceptible de faire progresser la compréhension des risques connus et d’anticiper les risques émergent.
Communiqué de presse du 20 décembre 2022, Cour des Comptes
La santé au travail constitue un enjeu majeur : alors qu’en vertu du code du travail, les entreprises portent la responsabilité de préserver la santé de leurs salariés, près d’un million d’accidents dont plusieurs centaines sont mortels, et près de 50 000 nouvelles reconnaissances de maladies professionnelles sont comptabilisés chaque année.
Pour indemniser les victimes, les entreprises versent chaque année environ 14 Md€ pour l’essentiel à la branche « accidents du travail et maladies professionnelles » (AT-MP) de la sécurité sociale. Les conséquences humaines de ces sinistres, le coût des mesures de réparation et le coût social pour l’ensemble de la collectivité, y compris pour les entreprises concernées, justifient que les pouvoirs publics confortent et accompagnent les démarches des entreprises par la réglementation et une politique de prévention.
Alors que les actions de prévention conduites à ce titre représentent un coût d’environ 2 Md€, les pouvoirs publics s’efforcent de fédérer les nombreux intervenants de cette politique dans un domaine historiquement marqué par le paritarisme. Le rapport publié ce jour par la Cour des comptes examine dans quelle mesure les politiques de prévention en santé et sécurité au travail réussissent à créer un contexte favorable à la prise en compte, par les entreprises, de l’enjeu que représente la santé de leurs salariés.
La stagnation apparente de la sinistralité masque des situations très contrastées selon les secteurs
Les données de sinistralité en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles montrent une situation qui stagne depuis le début des années 2010. Il apparaît en effet que les actions de prévention ne font pas partie du quotidien de tous les salariés – de nombreuses entreprises reconnaissant ne pas être impliquées en matière de prévention. La Cour constate d’ailleurs que les conditions de travail ne s’améliorent pas, voire s’aggravent dans certains cas. Les progrès observés dans certains secteurs (en particulier le BTP) coexistent avec des dégradations significatives dans d’autres (notamment les secteurs du soin et de l’aide à la personne, du nettoyage et de l’intérim). Ainsi, des marges de progression importantes existent et le détail des données permet d’identifier clairement où se situent les priorités d’une politique de prévention en termes de risques, de public et d’entreprises. Pour autant, certaines données connexes – ayant trait à l’inaptitude, à l’absentéisme, aux démissions, aujourd’hui mal connues ou peu mobilisées – doivent également aider à affiner la connaissance et à choisir des priorités au plus près des risques et des activités.
Les politiques de prévention en santé au travail souffrent à la fois d’un défaut de pilotage et de multiples cloisonnements
Le paysage de la santé au travail demeure fragmenté entre de multiples intervenants, sans véritable pilote. L’effort de mobilisation réalisé par le ministère chargé du travail, qui se manifeste par l’adoption concertée de plans en santé au travail, est propice à créer une culture partagée et à identifier des priorités communes, mais il appelle une coordination plus importante.
La Cour recommande à cet égard que les plans, tout en conservant leur fonction fédératrice, mettent l’accent sur les actions requérant un effort particulier de coordination et les attentes vis-à-vis de chaque partenaire. Les pouvoirs publics tentent de mobiliser davantage les services de santé au travail sur les sujets de prévention, non en organisant un pilotage direct de leur action, mais en formulant de nouvelles exigences sur le contenu de celle-ci. Ainsi, une partie de la réussite de cette politique repose sur la capacité des services de prévention et de santé au travail interentreprises à mener les actions prévues. La recherche en santé au travail souffre de la même fragmentation et d’une absence de chef de file ; elle est aussi insuffisamment reliée à l’écosystème des grands financements de la recherche et doit œuvrer à s’en rapprocher. Il appartient aux pouvoirs publics d’animer davantage une politique de veille sanitaire et de recherche en santé au travail susceptible de faire progresser la compréhension des risques connus et d’anticiper les risques émergents. Enfin, ils doivent aussi continuer à rechercher les moyens d’inciter les entreprises à s’investir plus encore dans la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Des leviers de progrès dans la mise en œuvre des politiques de santé au travail
Plusieurs leviers de progrès peuvent être mobilisés dans la mise en œuvre concrète des politiques de santé au travail. En premier lieu, il convient de veiller à l’adéquation des mesures mises en place par tous les acteurs au regard des priorités qu’ils affichent ; la Cour note en effet que la réalité des efforts consentis par ces derniers pour répondre aux différents enjeux n’a longtemps pas été à la hauteur. Ensuite, les organismes chargés de la prévention doivent mieux cibler les entreprises à contacter en construisant une approche mieux coordonnée des situations dans lesquelles le volontariat de l’employeur fait défaut.
S’agissant de l’offre d’accompagnement des entreprises, la balance entre outils méthodologiques en libre-service et appui sur le terrain est clairement déséquilibrée en faveur des premiers, en raison d’une abondance d’outils souvent redondants faute de dispositif de capitalisation. Enfin, il convient de poursuivre l’effort d’évaluation des résultats, et ce dans deux directions : celle de l’intérêt économique de la prévention pour les entreprises elles-mêmes et celle de l’impact sur la sinistralité des mesures prises. Dans les deux cas, des progrès méthodologiques sont à poursuivre pour justifier toute augmentation du budget consacré à la prévention.