QUEL DÉVELOPPEMENT POUR MAYOTTE ?

Mieux répondre aux défis de la démographie, de la départementalisation et des attentes des Mahorais.

Juin 2022

Mayotte est devenue département en 2011, en réponse aux aspirations anciennes et réitérées des Mahorais et de leurs élus. En 2016, la Cour avait relevé la préparation insuffisante de cette réforme institutionnelle qui, bien que sans lien avec les crises qui traversent l’archipel, n’en a guère facilité la résolution. L’État et le département peinent à tracer des perspectives de développement durable pour Mayotte alors que les difficultés vont s’aggravant.

Le premier défi auquel est confronté l’archipel de Mayotte est celui de la démographie

Le taux de croissance de la population s’est accéléré sur la décennie passée pour atteindre 4 % en 2017. De nombreux indices laissent penser que sa population, évaluée à 289 000 habitants, serait en fait fortement sous-estimée. Cette incertitude est préjudiciable à la mesure fiable des caractéristiques socio-économiques de l’archipel ainsi qu’au bon dimensionnement des politiques publiques. La population de l’archipel projetée par l’Insee à l’horizon 2050 est comprise entre 440 000 et 760 000 habitants, le principal déterminant étant l’évolution des flux migratoires. Dans l’hypothèse la plus élevée, la densité de population serait portée à plus de 2 000 habitants par km² (contre 774 aujourd’hui), soit la plus forte densité en France, après Paris et les départements de première couronne. Mayotte ne serait plus composée que de grands ensembles d’habitations, de parcs de stationnement et de réseaux routiers. Dans un tel contexte, la maîtrise de l’immigration est un préalable à la stabilisation du cadre socio-économique. Les moyens consacrés à la lutte contre l’immigration clandestine ont été renforcés et sont mieux organisés depuis 2018.

La délinquance a atteint à Mayotte un niveau hors norme

La délinquance a atteint à Mayotte un niveau hors norme et la sécurité y est devenue la première préoccupation des habitants ; la confiance dans les forces de l’ordre est faible. Dans le domaine de l’éducation, le retard est difficile à résorber. Le niveau d’équipement scolaire du territoire et la progression démographique rendent nécessaires des constructions dans des proportions massives. Le rattrapage est en cours pour le secondaire. Mais le rythme de construction des écoles primaires est très insuffisant au regard des 850 classes supplémentaires nécessaires à l’accueil des enfants dans des conditions satisfaisantes. Le niveau scolaire reste faible dans un archipel où la moitié de la population ne parle pas français.

Face à ces défis, les institutions publiques n’ont pas l’assise nécessaire pour conduire avec sérénité le développement de l’archipel. Les collectivités locales, de constitution encore récente, département en tête, manquent d’expertise et d’ingénierie. L’émergence d’une élite mahoraise ne fournit pas encore en nombre suffisant les cadres dont Mayotte a besoin. Un accompagnement renforcé sera nécessaire, dans le respect des attributions dont disposent les pouvoirs locaux. Les capacités de maîtrise d’ouvrage du département restent insuffisantes, bien qu’il ait entrepris de relever les compétences de ses cadres.

Si sa situation financière est satisfaisante, c’est en raison des retards dans l’exercice effectif de ses attributions et dans la réalisation de ses programmes d’investissement. Les services de l’État sont fragilisés par des effectifs taillés au plus juste, en méconnaissance de difficultés sans commune mesure avec celles rencontrées en métropole. Les services de la préfecture, notamment, sont trop mobilisés par les urgences successives pour assurer l’impulsion et la coordination nécessaires au développement de l’archipel. En outre, la forte rotation du personnel, les vacances d’emploi qui en résultent et l’insuffisante formalisation des initiatives engendrent une rapide perte de mémoire, ce qui affecte la continuité même des actions entreprises.

Au cours des dernières années, l’État a déployé deux plans d’actions pour Mayotte.

Le premier, dénommé « Mayotte 2025 », fut annoncé en 2015. Comptant 324 actions, ce plan sans moyens affectés énonçait des objectifs souvent imprécis et n’abordait pas les questions de sécurité et d’immigration, pourtant centrales dans les préoccupations mahoraises. Son suivi et son animation ne se sont pas prolongés au-delà d’un an. Son bilan n’a pas été établi et il n’a plus fait l’objet de communication au-delà de sa première année de mise en œuvre. Son apport aux besoins du territoire et de la population mahoraise n’a pas été évalué.

Le second, le « plan pour l’avenir de Mayotte », a été élaboré dans l’urgence, en réponse à la crise sociale du début de l’année 2018, qui causa la paralysie de l’archipel pendant deux mois. Constitué de 53 mesures, pour un montant annoncé de 1,3 Md€, il alliait mesures d’urgence et propositions de long terme. Il consacrait un chapitre entier aux questions d’immigration et de sécurité, qui étaient à l’origine de la crise. Pendant la première année de sa mise en œuvre, ce plan a apporté une nouvelle dynamique à l’action de l’État à Mayotte et des avancées importantes avec la création d’une agence régionale de santé et d’un rectorat de plein exercice, la relance de la lutte contre l’immigration clandestine et le renforcement des moyens consacrés à la sécurité. L’important volet d’investissement que comprenait ce second plan a été contractualisé dans le contrat de convergence et de transformation conclu à l’automne 2019, comme dans d’autres territoires ultra-marins. L’avancement de ces investissements est variable, tributaire de la capacité des maîtres d’ouvrage à mener à bien les projets. Si les constructions d’établissements secondaires se poursuivent à un rythme satisfaisant, les travaux en faveur des écoles primaires, des réseaux d’eau et d’assainissement ou des transports en commun n’ont guère progressé. Ce plan, comme le précédent, n’a fait l’objet d’un suivi structuré que pendant une brève période.

Au total, il n’existe pas à ce jour de document stratégique de programmation du développement de Mayotte.

L’élaboration du schéma d’aménagement régional, engagée en 2011, n’a toujours pas abouti. L’opération d’intérêt national prévue par le plan de 2018 n’a pour l’instant donné lieu qu’à une esquisse qui n’a pas reçu l’adhésion des élus mahorais. Le désordre foncier, cause d’incertitude sur les propriétés qui avait été mise en évidence lors de la transition vers le droit commun, handicape fortement l’action publique. Son règlement n’a guère progressé, en dépit de la création en 2017 de l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte.

Enfin, l’extension de l’habitat informel ou insalubre n’a pu être jugulée

La part de logement précaire, d’environ 40 %, n’a pas évolué de 1997 à 2017 et l’augmentation de la production annuelle de logements sociaux ces dernières années est sans commune mesure avec les besoins. Sur chacun de ces thèmes, la conduite des projets est insuffisamment coordonnée. La Cour avait pourtant souligné cette nécessité lors de la publication de son rapport de 2016 sur la départementalisation de Mayotte. Au terme d’une consultation étendue des Mahorais et de leurs élus, le Gouvernement avait préparé un projet de loi pour le développement accéléré de Mayotte. Celui-ci a, le 13 janvier 2022, reçu un avis défavorable du conseil départemental ; il a été abandonné.

Une réflexion stratégique approfondie sur le développement durable de Mayotte reste à conduire. À défaut, l’archipel restera tributaire des financements publics reçus de la métropole, ce qui ne paraît ni souhaitable pour les Mahorais, ni soutenable à terme compte tenu des perspectives démographiques.

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