Pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, Antoine Bristielle, Tristan Guerra et Max-Valentin Robert évaluent à l’aide de plusieurs indicateurs la tentation des Français pour le Rassemblement national.
Le plafond de verre semble reculer de plus en plus
Ce matin nous attirons l’attention sur une étude pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès sur 2022 : le risque Le Pen.
À un an de l’élection présidentielle, les messages d’alerte se multiplient quant à l’érosion du front républicain et face au risque de voir Marine Le Pen remporter le second tour.
Le 17 mars dernier, un sondage Ifop pour l’hebdomadaire Marianne a fait l’effet d’une bombe. Alors que le scénario d’un nouveau duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron au second tour semble à l’heure actuelle l’hypothèse la plus probable, le premier ne l’emporterait que d’une très courte tête (53 %) quand, quatre ans plus tôt, les deux tiers des électeurs s’étaient exprimés en sa faveur.
Ainsi, le plafond de verre que les commentateurs évoquent régulièrement semble reculer de plus en plus, au point que la victoire de Marine Le Pen en 2022 devient un sujet d’inquiétude. Le Premier ministre est même monté au créneau, estimant être très « inquiet » face à cette possibilité, et fustigeant tous ceux qui au second tour refuseraient de faire barrage au Rassemblement national.
Si l’on en croit ces intentions de vote, au premier tour, Marine Le Pen posséderait indéniablement l’électorat le plus stable : 89 % des électeurs ayant voté pour elle au premier tour de la présidentielle de 2017 déclarent qu’ils feront de même en 2022. À titre d’exemple, ce n’est le cas que de 71 % des électeurs d’Emmanuel Macron. Plus encore, lorsque l’on regarde l’évolution des scores du Rassemblement national lors des différentes élections, la dynamique est implacable depuis le début des années 2010. Comme on le constate sur le graphique 1, lors de la dernière décennie le nombre de personnes votant FN/RN a considérablement augmenté, quel que soit le type de scrutin pris en compte.
Néanmoins, voir Marine Le Pen gagner au second tour d’une élection présidentielle nécessiterait que le front républicain, consistant à « faire barrage » au Rassemblement national, ne fonctionne plus.
Il est vrai qu’à ce niveau un véritable infléchissement a été constaté au cours des deux dernières décennies. Face à l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour le 21 avril 2002, le président sortant Jacques Chirac mobilisa une rhétorique inscrite dans la stratégie du « cordon sanitaire ». Le candidat du RPR associa alors explicitement le parti lepéniste à une menace pour la pérennité de la démocratie française, comme en témoignent ses déclarations prononcées après l’annonce des résultats : « Aujourd’hui, ce qui est en cause, c’est notre cohésion nationale, ce sont les valeurs de la République auxquelles tous les Français sont profondément attachés. Aujourd’hui, ce qui est en cause, c’est l’idée même que nous nous faisons de l’homme, de ses droits, de sa dignité. […] Si, dans le cadre d’une élection, le rejet et le mécontentement peuvent s’exprimer, ils ne sauraient fonder une véritable politique pour la France […]. J’appelle toutes les Françaises et tous les Français à se rassembler, pour défendre les droits de l’homme, pour garantir la cohésion de la nation, pour affirmer l’unité de la République, pour restaurer l’autorité de l’État. Ce rassemblement est possible, et il est nécessaire. » En plus d’appeler à un « sursaut démocratique » et de déclarer que l’élection présidentielle ne devait pas être « confisquée par l’obscurantisme, la haine, le mépris », Jacques Chirac alla jusqu’à refuser de débattre avec Jean-Marie Le Pen dans l’entre-deux-tours : « Face à l’intolérance et à la haine, il n’y a pas de transaction possible, pas de compromission possible, pas de débat possible. » Cette élection inédite se conclut d’ailleurs par une écrasante victoire du président sortant (82,2 %).
Or, depuis la présidence Sarkozy, nous pouvons constater une érosion de la logique du « cordon sanitaire » dans le discours porté par la droite parlementaire. Ainsi, durant la campagne pour l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2012, le président sortant jugea Marine Le Pen « compatible avec la République ». Puis, le 3 février 2015, le bureau politique de l’UMP acta définitivement la stratégie du « ni-ni » (« ni front républicain ni Front national ») à l’occasion d’une législative partielle dans le Doubs qui opposait au second tour un candidat Parti socialiste à un candidat Front national. Si les forces de gauche ont maintenu plus longtemps une logique oppositionnelle stricte par rapport au Front national, ce n’est pas le cas de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon ne se prononça pas directement pour un vote contre Marine Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017, mais organisa une consultation interne à La France insoumise, qui donna elle-même des résultats contrastés (36,1 % prônant un vote blanc ou nul, 34,8 % se prononçant pour un vote en faveur d’Emmanuel Macron et 29 % défendant l’abstention.
Il est donc indéniable que le Front républicain se morcelle depuis plusieurs années maintenant et que le vote « contre » Marine Le Pen ne soit plus aussi automatique qu’il le fut autrefois. Néanmoins, si la dirigeante du Rassemblement national est présentée à l’heure actuelle comme favorite pour arriver en tête au premier tour en 2022, la voir gagner le second tour nécessiterait soit qu’elle augmente sensiblement son nombre de voix entre le premier et le second tour en disposant ainsi de réserves de voix dans d’autres parties de l’électorat, soit que son adversaire ne soit pas en position d’accroître sensiblement son score du premier tour. C’est exactement ce qui ne s’était pas produit en 2017, Marine Le Pen ayant augmenté de seulement trois millions son nombre de voix entre le premier et le second tour, quand Emmanuel Macron l’augmentait, lui, de plus de douze millions.
Marine Le Pen dispose-t-elle de réserves de voix supplémentaires au second tour ? Emmanuel Macron, président sortant, est-il encore en mesure de générer un front républicain contre la candidate du Rassemblement national comme ce fut le cas en 2017 ?
Plus explicitement, il faudrait qu’au moins une de ces conditions se réalise pour que Marine Le Pen soit élue présidente de la République en 2022 :
- que l’électorat de droite modérée se reporte massivement sur elle ;
- qu’elle soit suffisamment « dédiabolisée » pour pousser les électeurs des candidats éliminés du premier tour vers l’abstention ;
- qu’Emmanuel Macron soit devenu un repoussoir similaire à Marine Le Pen hors de son propre camp.
Ces conditions sont-elles envisageables ? Le risque Le Pen est-il bien réel ?
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