Sur le rapport du Premier ministre et du ministre de l’intérieur au Président de la République.
Décret du 4 novembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 11 ; vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment ses articles L. 121-1 et L. 121-2 ; vu le code de la sécurité intérieure, notamment son article L. 212-1 ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ; […] 6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence […] » ;
Considérant que le mouvement paramilitaire et ultra-nationaliste des « Loups Gris », fondé en 1968 en Turquie, présent dans plusieurs pays européens, s’identifie au travers de symboles communs, tels que sa dénomination, ses slogans, le drapeau aux trois croissants ainsi qu’un geste de la main symbolisant le loup, signe de ralliement des sympathisants de l’extrême-droite nationaliste turque ; que cette iconographie est régulièrement affichée sur les publications du mouvement ainsi que sur des drapeaux et vêtements, permettant aux membres des « Loups Gris » de se reconnaître ; que plusieurs foyers de ce mouvement ont ainsi été identifiés sur le territoire, notamment par le biais des réseaux sociaux ; que ses membres participent à des camps d’entraînement sur le territoire national, se revendiquant sans ambiguïté de ce mouvement, à l’instar du « camp des armes de jeunesse », organisé à Satillieu (Ardèche) les 13 et 14 décembre 2019 ; que le mouvement est animé, au niveau local, par M. A et que ce dernier véhicule sur les réseaux sociaux une idéologie tendant à discriminer voire à provoquer à la violence envers les personnes d’origine kurde ou arménienne, en se photographiant en recueillement auprès de la tombe de M. B, membre actif des « Loups Gris » inculpé par la justice turque à plusieurs reprises pour des meurtres contre des militants kurdes et arméniens ; que l’ensemble de ces éléments permettent d’établir l’existence d’un groupement de fait au sens de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant, en premier lieu, que le groupement des « Loups Gris » a été impliqué dans plusieurs actions violentes ayant le caractère de manifestations armées dans la rue ; qu’ainsi, à Reims (Marne), dans la nuit du 11 au 12 novembre 2016, une quinzaine de militants de ce groupement, armés de bâtons, de barres de fer, de couteaux et d’un revolver et le visage masqué par des écharpes rouges et blanches aux couleurs du drapeau turc, ont attaqué un stand tenu par des manifestants d’origine kurde, dont deux ont été blessés ; que plus récemment, en réaction à la mobilisation de la diaspora arménienne dans le cadre du conflit opposant l’Arménie à l’Azerbaïdjan, des membres appartenant à ce même groupement de fait ont commis plusieurs actions violentes ; qu’il en a été ainsi, en marge d’une manifestation organisée le 24 juillet 2020 par le Comité de défense de la cause arménienne dans la commune de Décines-Charpieu (Rhône), déclarée en préfecture, au cours de laquelle environ 70 membres du groupement ont, dans le cadre d’une contre-manifestation, appelé à la violence et commis, à l’aide d’armes, des exactions visant des manifestants dont certains ont été blessés ; que cette contre-manifestation a été organisée à l’initiative de M. A, lequel a provoqué à ces agissements sur les réseaux sociaux, en n’hésitant pas à déclarer : « Je suis le commando turc […] que le gouvernement me donne 2000 euros et une arme, et je ferais ce qu’il y à faire où que ce soit en France ! » ou encore : « Nous ne connaissons pas la peur ! Nous sommes les soldats des montagnes ! Notre maison c’est le ciel ! Aux endroits qui font tourner la tête ! Nous ne connaissons aucun obstacle, on le franchit ! Je suis le commando turc. Je suis le commando turc. Je suis le commando turc » ; qu’au cours de la manifestation, il a également publié sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle il exhorte les participants « à jeter leurs couteaux » à l’arrivée des forces de l’ordre, couteaux que l’on entend distinctement tomber à la suite de cet appel ; qu’interpellé à la suite de ces événements, il a été poursuivi pour « incitation à la haine », le parquet ayant requis à son encontre six mois de prison avec sursis, ainsi qu’une peine d’inéligibilité de 5 ans et 2000 euros ; que de nouvelles actions violentes ont été commises par des membres des « Loups gris » armés, notamment le 28 octobre à Vienne (Isère) et dans la nuit du 29 au 30 octobre à Dijon (Côte-d’Or), avec pour mot d’ordre d’en découdre avec les membres de la communauté d’origine arménienne ; qu’au cours de ces événements, les forces de l’ordre ont notamment été ciblées par des tirs de mortiers et des personnes ont été blessées ; que ces actes de violence ont été expressément revendiqués et assumés par des membres des « Loups Gris » sur les réseaux sociaux ; qu’à la suite des événements de Vienne, le parquet de Lyon a ouvert une enquête pour « participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations » ;
Considérant que par suite, le groupement de fait dénommé « Loups Gris » doit être regardé comme provoquant à des manifestations armées dans la rue, au sens du 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant, en second lieu, que M. A a publié à plusieurs reprises, sur le réseau social Twitter, des propos appelant à la haine et à la violence à l’encontre des Arméniens ; qu’ainsi, il indiquait le 1er décembre 2018 que « Si les turcs avaient réellement fait ce génocide, je vous assure qu’il ne resterait plus d’Arméniens aujourd’hui », ajoutant le 24 avril 2018 : « Je tiens à rappeler en ce 24 avril, journée de commémoration du « génocide arménien » que ce dernier n’a toujours pas été prouvé en 103 ans », puis, le 12 juillet 2018 : « Je sens un complexe et une frustration profonde dans la communauté arménienne. On parle du génocide bosniaque : et nous les Arméniens ; Génocide Rwandais : et nous les Arméniens ; 2 chiots décédés : et nous les Arméniens » ; que, lors de la contre-manifestation organisée le 24 juillet 2020 à l’initiative des « Loups Gris », des militants ont été filmés proférant des insultes et des appels à « aller chercher les Arméniens », tandis que des violences ont ciblé des personnes identifiées comme d’origine arménienne et leurs biens ; que, lors des évènements intervenus le 28 octobre 2020 dans l’Isère, des membres du groupement ont clamé des slogans tels que : « Ici, c’est la Turquie », « on va tuer les Arméniens », « Vous êtes où les Arméniens ? On est chez vous bandes de fils de pute » ; que d’autres propos provoquant à la haine et à la violence contre les personnes d’origine arménienne ou les Arméniens ont été tenus, tels que : « Arméniens, terroristes ! », « On va tuer les Arméniens » ou « Allahu akbar » ; que M. A, présent lors de ces agissements, a commenté en direct les événements sur les réseaux sociaux, affirmant en turc : « Ils ne savent pas que nous pouvons aller jusqu’à Erevan » ; qu’en outre, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2020, le Centre national de la mémoire arménienne et le Mémorial du génocide arménien de 1915 ont été profanés par les inscriptions suivantes : « Nique Arménie », « Loup Gris » et « RTE » (pour « Recep Tayyip ERDOGAN ») clairement revendiquées par le groupement des « Loups Gris » ;
Considérant que l’ensemble de ces éléments particulièrement graves et récurrents visent à inciter à commettre des actes de violence spécifiquement à l’encontre de personnes d’origine arménienne ; que dès lors, le groupement de fait dénommé « Loups Gris » doit être regardé comme provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence, au sens du 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant qu’au regard de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de prononcer la dissolution du groupement de fait dénommé « Loups Gris » sur les fondements des 1° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Considérant que ce groupement de fait est directement impliqué dans plusieurs actions violentes particulièrement graves, constitutives d’infractions pénales et contraires aux valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ; que la répétition récente de telles actions violentes, de gravité croissante, en plusieurs points du territoire national, revendiquées et assumées par des membres de ce groupement, démontre l’influence de cette mouvance et permet de craindre de nouveaux passages à l’acte ; que, dans ces circonstances et au regard de la menace terroriste particulièrement prégnante mobilisant les forces de sécurité intérieure sur l’ensemble du territoire sur le territoire national, il y a urgence à prévenir ces troubles à très bref délai, en procédant à la dissolution du groupement de fait dénommé « Loups Gris », sans qu’il y ait lieu de mettre en œuvre la procédure contradictoire préalable prévue par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration ;
Le conseil des ministres entendu, décrète :
Article 1
Le groupement de fait dénommé « Loups Gris » est dissous.
Article 2
Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris, le 4 novembre 2020.
Emmanuel Macron