Entre 800 et 1.000 personnes ont manifesté, vendredi 24 juillet, pour protester contre le projet de vente de l’usine automobile, qui emploie 1 400 salariés, sous-traitants compris, à Hambach (Moselle). Le groupe Daimler, son propriétaire, fait monter la pression : en cas d’échec, une fermeture ne serait pas exclue.
Après la sidération, la colère froide et déterminée
On l’a entendue s’exprimer, vendredi 24 juillet, dans les rues de Sarreguemines (Moselle) où 800 à 1 000 personnes ont manifesté pour faire pression sur le groupe allemand Daimler, et protester contre la mise en vente de son site automobile Smart situé à Hambach. Depuis 1997, l’emblématique petite citadine électrique y est fabriquée. Daimler trahison ! Daimler trahison ! ont scandé tout le long du cortège les manifestants unis derrière la banderole de l’intersyndicale, qui regroupe FO et quatre autres organisations.
Dans les rangs ? Des salariés, des familles, des sections syndicales venues d’autres usines automobiles du secteur (Continental ou PSA), des élus locaux aussi.
Daimler doit rendre des comptes
Avec l’annonce inattendue le 3 juillet de la mise en vente, un gouffre s’est ouvert devant les salariés. Après tous leurs sacrifices qu’ils ont faits, Daimler ne peut pas partir comme ça, sans apporter de garanties sur le maintien de tous les emplois, y compris ceux des sous-traitants intégrés au site. Il doit rendre des comptes !, martèle Jean-Marc Filippigh, délégué syndical FO.
Le militant rappelle aussi l’importance des financements publics – du district de Sarreguemines jusqu’aux fonds européens – dont a bénéficié l’usine-symbole de la reconversion industrielle de l’Est mosellan.
A proximité de la frontière franco-allemande, Smartville, comme on l’appelle, emploie 1 400 salariés dont 500 chez les fournisseurs qui produisent sur place, sans compter les emplois indirects. Pour préserver le site, les salariés n’ont cessé de s’adapter ces dernières années. Contraints et forcés. Au sein du groupe Daimler, les usines sont régulièrement mises en concurrence, rappelle Jean-Marc Filippigh.
39 heures payées 35
En 2015, les salariés sont ainsi passés aux 39 heures payées 35 (pour cinq ans), conformément au Pacte 2020 présenté par la direction qui s’est engagée, en contrepartie, à ne faire aucun licenciement économique jusqu’en 2020. Les salaires ont aussi été gelés trois ans durant, rappelle le représentant FO. En tant qu’ouvrier de production, il juge avoir perdu, sur la période, 12.000 euros de rémunération. A l’époque, lors d’un référendum (consultatif), les salariés avaient néanmoins voté oui, à 56%. Le contexte invoqué était alors celui de carnets de commandes en berne, puis d’une possible délocalisation.
Au-delà des sacrifices, les engagements pris auprès des salariés restent aussi en mémoire. Quand, en mars 2019, Daimler, propriétaire de la marque Mercedes-Benz, a finalement annoncé la fin de la production de la Smart en France, et sa délocalisation en Chine à partir de 2022, il a assuré qu’il n’y aurait pas de licenciements. A la place de la Smart, il a promis de fabriquer un modèle Mercedes de type SUV électrique à partir de l’automne 2020 et même décidé d’investir 500 millions d’euros, pour de nouveaux ateliers de peinture et ferrage. Les travaux sont d’ailleurs en cours.
Au final, beaucoup de salariés seront partis en Allemagne se former pendant des mois… pour rien. Puisque le site est aujourd’hui mis en vente, déplore le militant syndical.
La menace voilée de Daimler
Sa décision de céder le site, Daimler la motive par l’impact de la crise sanitaire. Son chiffre d’affaires a chuté de 29% au premier semestre 2020, à 30,2 milliards d’euros. Selon la presse allemande, il compte réajuster le plan d’économies 2019, à 20 000 suppressions de postes et 2 milliards d’euros de restructuration. Sauf que, rappelle Jean-Marc Filippigh, le constructeur prévoit déjà aussi, dès 2020, une trésorerie excédentaire et 9,5 milliards de liquidités nettes…
Dans ce contexte, l’intersyndicale exige de Daimler, en discussion avec le pétrochimique britannique Ineos pour la reprise du site, une garantie de maintien des 1 400 emplois à Hambach, sous-traitants compris. Première difficulté, tous ne sont pas sous contrat Smart, alors que la plupart étaient appelés progressivement à l’être dans le cadre du plan industriel précédent. Le sujet est déterminant, demain, pour d’éventuels reclassements. Mais nous n’avons pas d’engagement du groupe Daimler sur le sujet, commente Jean-Marc Filippigh.
Un CSE extraordinaire en début de semaine
Bien d’autres dossiers sont sur la table : le nombre de salariés repris, les conditions industrielles et sociales, le plan de charge, les modalités de poursuite de la production de la Smart initialement prévue jusqu’en 2022-2023, etc. En début de semaine, une réunion extraordinaire du Comité social et économique (CSE), prévue dans le cadre du droit d’alerte activé par les représentants des salariés, devrait apporter des éclairages. On sera vraiment fixé à la rentrée, précise le délégué FO.
De fait, Daimler se donne jusqu’au 12 octobre pour boucler une éventuelle vente.
Déjà, le constructeur allemand fait monter la pression. En cas d’échec des négociations avec un repreneur, une fermeture de l’usine Smart d’Hambach n’est pas exclue, a annoncé le patron de Daimler, Ola Källenius, jeudi 23 juillet, veille de la manifestation de Sarreguemines. C’est un scénario noir qui ferait souffrir toute la région, de Saint-Avold à Bitche et à Dieuze. Et un nouveau coup de massue pour les salariés du site d’Hambach, déjà amenés à envisager, au mieux, une évolution à rebours de son histoire. Si Ineos s’intéresse à Smartville, vitrine écologique avec ses citadines électriques, c’est pour y faire construire un 4X4 avec un moteur Diesel.
Publié dimanche 26 juillet 2020 par Elie Hiesse, journaliste L’inFO militante