La préservation de l’anonymat dans l’espace public est une dimension essentielle pour l’exercice des libertés.
La reconnaissance faciale
Dans le cadre de l’épidémie de COVID-19, et plus particulièrement dans la période actuelle de déconfinement, le déploiement de nouvelles caméras dites « intelligentes » et de caméras thermiques est envisagé avec pour objectif de faciliter la gestion, par les acteurs publics et privés, de la crise sanitaire ou de ses conséquences. Si la CNIL est pleinement consciente de la situation sanitaire, il lui apparaît cependant que certains dispositifs envisagés ne respectent pas le cadre légal applicable à la protection des données personnelles. Elle appelle donc à la vigilance.
Concilier objectifs sanitaires et libertés individuelles
L’espace public est un lieu où s’exercent de nombreuses libertés individuelles : droit à la vie privée et à la protection des données personnelles, liberté d’aller et venir, d’expression et de réunion, droit de manifester, liberté de conscience et d’exercice des cultes, etc. La préservation de l’anonymat dans l’espace public est une dimension essentielle pour l’exercice de ces libertés ; la captation de l’image des personnes dans ces espaces est incontestablement porteuse de risques pour les droits et libertés fondamentaux de celles-ci.
Si les objectifs assignés à ces nouveaux dispositifs sont le plus souvent légitimes, la CNIL constate que leur déploiement impliquerait une collecte et une analyse systématiques de données d’individus circulant dans l’espace public ou dans des lieux ouverts au public.
Leur développement incontrôlé présente le risque de généraliser un sentiment de surveillance chez les citoyens, de créer un phénomène d’accoutumance et de banalisation de technologies intrusives, et d’engendrer une surveillance accrue, susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de notre société démocratique.
Le déploiement massif de ces dispositifs de captation de l’image des individus et de détection de certains de leurs attributs ou comportements pourrait conduire, chez les personnes concernées, à une modification – voulue ou subie – de leurs comportements.
Plus généralement, ces usages spécifiques de dispositifs de vidéo « intelligente » dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire actuel soulèvent d’importantes problématiques sur lesquelles la CNIL a déjà insisté. Elle a appelé à la tenue d’un débat démocratique sur les nouveaux usages vidéo en septembre 2018 et plus spécifiquement concernant la reconnaissance faciale en novembre 2019.
Concernant les caméras thermiques, il est à noter que les autorités sanitaires interrogées par la CNIL ont émis des réserves sur ce dispositif. Il présente le risque de ne pas repérer des personnes infectées puisque certaines sont asymptomatiques et qu’il peut, en outre, être contourné par la prise de médicaments antipyrétiques (qui réduisent la température corporelle sans traiter les causes de la fièvre).
Les garanties qui doivent être assurées
Les droits des personnes doivent être respectés et ne sont ni restreints, ni suspendus par le contexte d’urgence sanitaire.
La mise en œuvre éventuelle de tels systèmes de surveillance doit respecter le cadre légal applicable (RGPD, loi Informatique et Libertés, directive « Police-Justice ») et être assortie de garanties de nature à préserver les libertés individuelles et particulièrement le droit à la vie privée. C’est notamment pour ces raisons que les dispositifs de vidéoprotection, comme d’autres dispositifs de captation d’images dans l’espace public, font l’objet d’un encadrement législatif spécifique dans le Code de la sécurité intérieure. La CNIL rappelle que l’usage des caméras « intelligentes », en revanche, n’est aujourd’hui pas prévu par un texte spécifique. Leur utilité et intérêt réels, en fonction de circonstances précises, n’ont pu en ce sens être évalués et débattus à un niveau plus général que les organisations décidant de leur mise en place.
La CNIL insiste sur la nécessité d’apporter un encadrement textuel adéquat, qui est requis dès lors que :
des données sensibles sont traitées ;
ou que le droit d’opposition ne peut pas s’appliquer en pratique dans l’espace public.
Ce cadre – nécessaire mais insuffisant – s’ajouterait à toutes les garanties que doivent prévoir ces éventuels dispositifs de vidéo « intelligente » au regard du RGPD (démonstration de leur nécessité et proportionnalité, durée de conservation limitée, mesures de pseudonymisation ou d’anonymisation, absence de suivi individuel, etc.). En outre, le déploiement de caméras thermiques, qui traitent des données de santé (température corporelle), doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
Un appel à la vigilance contre le déploiement de dispositifs irréguliers
La lutte contre l’épidémie de COVID-19 a conduit certains acteurs à envisager de déployer de telles caméras dites « intelligentes » destinées notamment à mesurer la température, à détecter la présence ou encore à s’assurer du respect de la distanciation sociale ou du port du masque. Sans remettre aucunement en cause la légitimité de l’objectif de lutte contre la propagation de l’épidémie, la CNIL estime nécessaire d’alerter sur le fait que, sous réserve d’une analyse au cas par cas, il lui apparaît qu’une grande partie de ces dispositifs ne respecte pas le cadre légal applicable à la protection des données personnelles.
En effet, lorsqu’ils constituent des traitements automatisés de données personnelles et relèvent à ce titre du RGPD, de tels dispositifs conduisent le plus souvent soit à traiter des données sensibles sans le consentement des intéressés (notamment la température), soit à écarter le droit d’opposition. Dans les deux cas, ces dispositifs doivent alors faire l’objet d’un encadrement normatif spécifique, lequel nécessitera en amont de s’interroger sur la proportionnalité du recours à de tels dispositifs et sur les garanties nécessaires. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, la CNIL appelle les acteurs à une grande vigilance afin de ne pas multiplier et de ne pas pérenniser les instruments de surveillance par caméras dans les lieux publics ou ouverts au public, qu’il s’agisse d’une rue, de locaux professionnels ou d’autres types d’établissements.
17 juin 2020
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