Éditorial du secrétaire général de Force Ouvrière.
Salaires et emplois étroitement liés
Nous étions encore sous le régime du confinement, destiné à empêcher la propagation du Covid-19, faute de moyens de protection et de capacités hospitalières et médicales suffisants, que l’on nous parlait déjà de l’« après » crise sanitaire, des leçons qui devraient en être tirées pour que cela ne puisse se reproduire. On avait bien entendu que tout serait fait pour que la santé soit la priorité et que les conséquences économiques et sociales soient anticipées quoi qu’il en coûte. Il s’agissait de ne pas ajouter aux difficultés sanitaires […] l’angoisse du chômage et des fins de mois difficiles pour les salariés.
Mais, dans le même temps, revenait aussi une petite musique, pas très nouvelle, sur l’air du il faudra se retrousser les manches, travailler plus… allant jusqu’à prévoir par ordonnance de pouvoir déroger à la semaine de 48 heures pour des semaines pouvant aller jusqu’à 60 heures !
Nos syndicats sont et seront mobilisés pour défendre à la fois l’emploi et les salaires.
Et voilà que maintenant s’ajoute la ritournelle de l’incitation à la modération salariale, que devraient concéder les salariés face à une reprise d’activité progressive et partielle.
On ne peut bien sûr pas nier que dans nombre de secteurs d’activité et d’entreprises, la situation économique est inquiétante et sera difficile à rétablir rapidement. Nos syndicats sont et seront mobilisés pour défendre à la fois l’emploi et les salaires. Ils peuvent compter sur le soutien de la confédération.
Pour autant, il ne faut pas l’oublier : le salaire médian en France se situe à 1 800 euros net mensuels environ. Cela signifie que la moitié de la population salariée perçoit moins de ces 1 800 euros net. Et, désormais, tout le monde le sait, beaucoup sont les salariés des métiers que l’on a qualifiés d’essentiels durant cette période de crise sanitaire : celles et ceux qui ne se sont pas arrêtés, bien que ne disposant pas au départ des protections indispensables. Bien des métiers de services (dont la sous-traitance de propreté), de services à la personne à domicile, beaucoup d’agents des services de santé (dont les agents de services hospitaliers, aides-soignants), des Ehpad, de salariés de la chaîne d’approvisionnement (caissières, manutentionnaires, transporteurs…)… Comme il ne faut pas oublier ceux qui, en activité partielle pendant cette période, ont perdu 400 euros en moyenne, selon l’OFCE.
Nous savons aussi que la redistribution des richesses a sur le long terme plus profité au capital qu’au travail.
Le partage de la valeur ajoutée reste défavorable aux salaires si l’on compare à la situation des années 1970. Comment ne pas mentionner aussi le fait que les profits versés sous forme de dividendes ont rejoint en 2019 des niveaux records, équivalents à ceux qui ont précédé la crise financière de 2008 ? Et dans le même temps l’absence depuis plusieurs années de tout « coup de pouce » au Smic, que la prime d’activité ne comble pas de la même façon ? S’interroge-t-on aussi sur la responsabilité des actionnaires des grands groupes capitalistiques sur leurs filiales, des donneurs d’ordre sur les sous-traitants ? À ce sujet, le 27 mars dernier, lors d’une première réunion avec le président de la République dans le contexte de la crise sanitaire, FO demandait que les versements de dividendes dans la situation actuelle soient bloqués et qu’une fiscalité sur les hauts revenus et la spéculation soit mise en place.
On ne peut manquer non plus de rappeler que les aides publiques aux entreprises (crédits d’impôt, allégements fiscaux, exonérations de cotisations sociales) représentent aujourd’hui de l’ordre de 140 milliards d’euros chaque année, sans compter l’ouverture massive de l’activité partielle qui a exonéré totalement les entreprises du paiement des salaires correspondant. Or, l’efficacité de ces aides, souvent présentées comme devant favoriser l’emploi, n’est pas ou peu évaluée. Là aussi, nous demandons sans relâche que toute aide publique soit soumise à conditions, contrôles et sanctions en cas de non-respect des conditions, notamment sur l’emploi.
Enfin, à un moment où la préoccupation doit être celle de relancer l’activité, certes dans des conditions incertaines, la pire des choses serait que s’enclenche une spirale de modération et baisse des salaires par effet domino. Ce serait contreproductif, avec un risque récessif, sachant qu’en France l’activité est, plus qu’ailleurs, tirée par la consommation intérieure et que, d’autre part, l’une des leçons à tirer de la crise est, justement, de favoriser la production intérieure par le développement d’une stratégie industrielle et de relocalisation d’activités. Et ce ne serait pas juste pour les salariés qui, en rien, ne sont responsables de la crise actuelle, pas plus qu’ils ne l’étaient de celle de 2008 dont ils ont pourtant alors fait les frais !
Alors, nous le disons, oui les salaires, leur préservation, leur augmentation avec celle du Smic, sont une revendication légitime, y compris en ces moments, dans les semaines et mois à venir ! Elle va de pair avec la défense de l’emploi.
Yves Veyrier Secrétaire général de Force Ouvrière