Le Qatar est un pays très religieux, sur une population de 300 000 qatariens les hommes de plus de 30 ans se répartissent en deux tiers pour un sunnisme traditionaliste et internationaliste et un tiers de type sunnisme wahhabite.
La bataille des wahhabites contre les fréristes repart
Au moment où le Qatar vit des moments difficiles, plusieurs personnalités françaises m’ont fait l’honneur de converser avec moi, pour m’indiquer leur vision de ce qui se passe au Qatar, en particulier sur le rôle des conservateurs. Pendant ce temps-là, alors que la crise entre Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis et Egypte contre le Qatar va rentrer dans son sixième mois, les observateurs attentifs voient que l’issue est peu probable.
Parmi les nombreuses raisons qui empêchent une conclusion de ce conflit, il y a la bataille que se livrent deux forces majeures du sunnisme, la vision des Frères musulmans et celle du wahhabisme saoudien.
Chacun se souvient, que la Constitution du Qatar en vigueur depuis le 8 juin 2004, précise en particulier, que le Qatar est un pays wahhabite et la source du droit est la Charia. A ce jour elle est toujours en vigueur sur ces considérants. Logiquement à terme la Constitution devrait dire « le Qatar est un pays sunnite et la source du droit est la Charia. »
Le Qatar est un pays très religieux. Sur une population de 300 000 qatariens les hommes de plus de 30 ans qui ont une voix importante dans la société qatarienne, se répartissent en deux tiers pour un sunnisme traditionaliste et internationaliste et un tiers de type sunnisme wahhabite. Selon nos calculs, traduit en chiffres, parmi les 90 000 hommes pratiquants, 60 000 ont une culture religieuse dispensée par les Frères musulmans et 30 000 ont suivi un enseignement religieux de type wahhabisme saoudien dont environ 40 % ont une vision salafiste.
Une lutte à l’intérieur même du Qatar
Quelques lecteurs peuvent être surpris par l’importance de la place d’un sunnisme « frériste » au Qatar. Il faut se souvenir que trois vagues successives ont conduits des cadres Frères musulmans au Qatar à la suite de persécutions. Le livre de Mohamed Louizi «Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans, retour éclairé vers un islam apolitique » (Michalon-2016) apporte de nombreux faits qui expliquent ces arrivées au Qatar depuis les années 50.
Aujourd’hui la quasi-totalité du gouvernement qatarien autour de l’émir Tamim est passé par une formation « frériste », sans rien ignorer de la vision du wahhabisme saoudien. Ceci est essentiel pour comprendre cette volonté des dirigeants qataris qui depuis 1995, avec l’arrivée de l’émir Hamad, sont partis à la conquête du monde, certes pour des raisons économiques mais aussi, parce que la vision du sunnisme « frériste » est internationaliste avec une organisation interne qui n’a rien à envier au trotskisme.
Nous aurons l’occasion de revenir sur le fait religieux au Qatar. Pour répondre à mes interlocuteurs et donner ma vision de la situation « politique » dans ce pays, je ne crois pas que les conservateurs, type wahhabisme saoudien, « noirs » (couleur donnée pour les différencier des frères musulmans) aient la capacité de renverser l’émir du Qatar et son gouvernement. Au contraire, la pression en interne au Qatar va s’accentuer sur eux et leurs familles, priés de serrer les rangs sur l’hyper nationalisme qatarien. Il reste quelques places encore de disponible dans les prisons qatariennes pour les récalcitrants. Pour les rasions de les emprisonner, il existe maintenant un manuel qui s’étoffe chaque jour un peu plus.
Le mouvement « frériste » entretient avec les institutions promouvant le wahhabisme saoudien des relations alternant entre coopération et rivalité. En 2017, le wahhabisme saoudien exacerbé par les Emirats arabes unis et l’Egypte d’Al Sissi ont réveillé cette rivalité, désormais la bataille continue même à l’intérieur du Qatar ce qui complique singulièrement la sortie de crise dans le Golfe persique.