Nous donnons la parole à Kadar Abdi Ibrahim pour qu’il nous informe sur la situation des trois artistes qui ont été emprisonnés à Djibouti et qui passent en tribunal aujourd’hui.
Tout artiste aujourd’hui est embarqué dans la galère de son temps
En soutien à ces trois jeunes artistes Djiboutiens harcelés, emprisonnés et présentés ce jeudi matin 27 juillet 2017 à 11H30 au tribunal de Djibouti devant un juge des flagrants délits et dont le seul crime est d’être des comédiens engagés.
Chehem Renard, Omar Zohra et Mohamoud Ali, vous incarnez, cette jeunesse Djiboutienne en lutte, dans sa multi-culturalité. Cette jeunesse qui s’est emparée de l’internet et dont, selon Achille Mbembé, « les frémissements d’expressions plurielles » se manifestent sur les réseaux sociaux et à laquelle on a confisqué tout espoir, la laissant se consumer dans un lent brasier pour passer de vie à trépas. Vous êtes des artistes. Et comme l’écrivait A. Camus : « Tout artiste aujourd’hui est embarqué dans la galère de son temps… ». Vous y êtes irrémédiablement en plein dedans.
Parce que vous avez choisi le chemin le plus difficile. Le moins évident car le moins emprunté. Déroutant, au contraire de tous ces artistes et autres intellectuels baguenaudant ici et là, devenus que de la valetaille riches en félonie mais pauvres en initiative artistique si ce n’est qu’encenser par des pépiements tels des poussins dans un branchage. Vous ne faites rien de conventionnel dans ce pays où « l’échelle des valeurs est inversée ». Parce que vous n’obéissez pas aux ordres. Et ne marchez pas non plus au pas.
Parce que vous portez sur vos frêles épaules tout l’enfer de ce peuple dont il ne manque pas de discernement pourtant. De tous ces mécontents que nous sommes, et qui vous suivent avec joie et vous applaudissent, d’aucuns ne sont prêts de relever la nuque contrairement à vous. Parce qu’ils ont l’air flapi par l’usure de tracasseries et leurs gémissements semblent les noyer dans mille et une interrogations et incertitudes.
Parce que vos pantomimes nous amusent, nous subliment et nous subsument. Vos mimiques simiesques sont à se tordre de rire. Le verbe hautement vénéneux, vous faites le buzz. Vous faites sauter les standards du « LIKE » et du « SHARE » sur Facebook. Nous recevons vos vidéos à l’humeur décapante comme une grâce. Pas eux. Pour eux, vos sketchs d’une intrépidité ébouriffante sont plus venimeux qu’un crotale. Chacune de vos parodies tintinnabulent dans leur tête. C’est pourquoi ça les inquiètent. Les désarçonnent. Les tracassent. Les terrassent. Et vous pourchassent.
Parce qu’elles sont très regardées et vous ne faites pas dans la dentelle. Pourtant, vous ne dévoilez rien que les Djiboutiens ne connaissent pas. Vous vous attardez sur la singularité de notre société sans pour autant perdre de vue l’essentiel. Mais vous le faites avec un entrain lyrique sans égal. Avec virtuose et avec beaucoup de désinvolture. Vous créez un engouement. Ils se méfient de tout engouement comme d’une teigne car il irrigue l’esprit et est à l’origine de l’entraînement des foules.
Ceux qui, aujourd’hui, vous crucifient, voudront bien vous récupérer et vous ramener dans leur giron en vous faisant miroiter monts et merveilles afin de vous manipuler. Ils n’en resteront pas à leur premier coup d’essai. Les convoitises viendront de toute part parce que vous êtes des électrons libres. Même de cette opposition erratique, divisée et minée actuellement par les guéguerres picrocholines.
Les bourrasques vous les avez déclenchées dès votre première vidéo. Et en paraphrasant A. Camus, « Vous êtes en pleine mer. L’artiste, comme les autres, doit ramer à son tour, sans mourir s’il le peut, c’est-à-dire en continuant de vivre et de créer ». Eh bien, vivez et créez même dans les cellules glauques de la sinistre prison. Vous avez flambez. Alors, ne vous éteignez pas de sitôt tel un fétu de paille. En bon encaisseurs, accrochez-vous bec et ongles à ce que vous savez faire le mieux : la scène.
Dorénavant, vous êtes passé du quidam au citoyen médiatique. Grâce à ce statut, vous avez acquis une tribune. Utilisez là sans réserve pour parler au nom de tous ceux qui n’en ont pas !
Ma seule prière est que la bonté de ceux qui vous ovationnent vous atteigne davantage que l’antipathie de ceux qui vous harcèlent. Amine.
Tout les Djiboutiens vous soutiennent.
Kadar Abdi Ibrahim