Quand le bédouin se transforme en un américain il en perd ses valeurs.
L’interaction public–privé prépare surtout une belle privatisation
Fin 2015, lors d’une déclaration au Conseil Consultatif du Qatar, l’émir Tamim al Thani annonçât la couleur pour ce qui concerne la privatisation du secteur de la santé au Qatar. « Bien que nous considérions ces domaines (de la santé et de l’éducation) du développement humain de base comme la responsabilité de l’État, nous avons conclu qu’il est nécessaire qu’ils bénéficient d’une interaction entre le secteur privé et le secteur public ».
Quelques jours plus tard le premier ministre enfonçait le clou : «Dans le cadre du soutien au secteur privé, le Cabinet a décidé plutôt de s’appuyer sur des compagnies d’assurance privées ayant une expérience dans le domaine pour fournir des services d’assurance maladie et la fourniture continue de services d’assurance maladie aux citoyens sans aucun fardeau supplémentaire. »
En ce début 2017, un cabinet d’avocats a indiqué qu’il était chargé de produire un texte de loi régissant l’utilisation des partenariats public-privé (PPP). Ce qui devrait permettre de financer de nombreux projets tant concernant la Coupe du monde 2022 que dans le secteur de l’Education et de la Santé.
Le Qatar doit faire face à des tensions sur l’infrastructure hospitalière à cause de l’importante augmentation de la population ainsi que de l’apparition de maladies comme l’obésité, le diabète, la dépression …
Une restructuration suivie d’une privatisation
Entre 2015 et fin 2016 une importante restructuration a touché le secteur de la santé y compris la partie hospitalière. Ceci avait comme objectif de préparer la prochaine privatisation qui est en marche. Il faut dire que le marché de la Santé au Qatar est sur une tendance de progression annuelle entre 12 et 14 %. Si en 2013 il pesait 4.7 milliards de dollars l’an prochain, en 2018 il est estimé à 9.3 milliards de dollars US, il demande donc des sommes colossales pour assurer son financement au moment où le Qatar subi de plein fouet la crise des hydrocarbures. Il attire aussi de nombreux requins qui voient là un pactole à engranger.
Cette privatisation prend différentes formes comme l’annonce récente de l’ouverture du premier hôpital turc à Doha et peut être demain une première polyclinique Philippines ou encore l’achèvement de projets en cours de construction ou rénovation. En matière de personnels, ce secteur fait travailler près de 10 000 personnes et les perspectives sont de 18 000 pour 2023 et 30 000 pour 2030.
Le Qatar s’éloigne de ses objectifs du passé
Le secteur de la santé du Qatar a commencé à se développer dans les années 1950 et s’est renforcé en 1978. L’année 2005 fut marquée par la création de SCH responsable de la réglementation des soins de santé publics et privés, ainsi que de la définition des politiques, des buts et des objectifs. En 2008, la réflexion d’une planification à 20 ans avec l’introduction de la Vision nationale du Qatar 2030 sera déterminante. Elle aboutira à la Stratégie nationale de santé du Qatar (NHS) 2011-16, lancée par Sheikha Moza bint Nasser, la femme de l’émir Hamad al Thani, en avril 2011. Les valeurs développées alors reposent sur une offre de soins sur des bases publiques avec un complément privé. Des valeurs qui mettent en avant le collectif, en priorité les qatariens mais à terme la couverture de l’ensemble des résidents du Qatar. Cette démarche donne une image inégalée du Qatar au niveau international sur ce secteur.
Mais hélas, se servant de la crise des hydrocarbures, et après son discours au Conseil Consultatif, l’émir met fin au régime national d’assurance maladie, Seha, et invite la population à se rapprocher des compagnies privées.
Ce qu’on peut entrevoir du plan santé 2017 – 2022, c’est le changement d’objectifs. Le privé devient l’élément moteur de la santé au Qatar et le public l’élément complémentaire. Pour des raisons essentiellement financières, on transforme la santé en un produit de consommation courant comme dans beaucoup de pays au monde notamment les USA.
Ce changement d’orientation des pouvoirs publics qatariens montre le virage capitalistique du Qatar en matière économique en ce qui concerne la santé et aura des conséquences sérieuses pour la population. La santé a un tel coût pour certaines familles qatariennes ou expatriées que s’il n’est pas partagé collectivement, il devient rapidement prohibitif. Voici encore une source d’augmentation des inégalités, nos seulement financières mais avant tout sur l’espérance de vie.
Si hier le Qatar raisonnait en bédouin ayant le sens du collectif et du partage, la nouvelle génération des dirigeants, formés dans des écoles internationales et conseillés par des capitalistes sans scrupules, raisonne comme des américains en matière de santé. L’individualisme et le profit deviennent des valeurs du Qatar. Pour se donner bonne conscience on ne manquera pas de temps en temps de faire la charité à quelques pauvres qui ne pourront pas se soigner.
Ce qui nous fait dire ce matin, « quand le bédouin se transforme en un américain il en perd ses valeurs. »