Les récents événements en Turquie montrent que Erdogan est loin de maîtriser la sécurité dans son propre pays, alors comment lui faire confiance pour assurer celle du Qatar.
L’armée turque devrait bientôt s’installer au Qatar à la demande de ce pays
Il ne se passe pas une semaine sans que les deux dirigeants du Qatar et de la Turquie posent ensemble sur une photo pour montrer les liens qui unissent leurs pays. Ce n’est pas uniquement la passerelle crée par les Frères Musulmans qui relie ces deux pays, mais des attaches centenaires, au temps où les Ottomans dirigeaient cette partie du monde. Les Al Thani ont eu des liens très forts avec l’empire Ottoman et ont continué avec la création de la République turque. Depuis quelques semaines l’histoire entre le Qatar et la Turquie s’accélère. Les accords et les échanges ne cessent ces derniers mois de se renforcer. L’arrivée de soldats turcs au Qatar et la construction d’une base turque sont des éléments à prendre en compte.
Le Qatar ne veut pas être sous la coupe saoudienne
Dans un passé récent, l’axe Ankara – Doha avait un autre partenaire, Le Caire. L’Egypte et la Turquie, les deux états les plus peuplés et puissants du Moyen Orient avec le Qatar sans doute le pays le plus rusé de cette région. L’Arabie saoudite avec la bienveillance des américains a cassé cet axe dangereux pour sa survie notamment suite à l’expérience des « Printemps arabes ».
L’Egypte a quitté l’axe Ankara – Doha – Le Caire à la demande des saoudiens, des émiratis et de koweïtiens. Chacun se rappelle comment l’armée par le canal d’Al Sissi a pris le pouvoir en Egypte, chassant les Frères Musulmans pourtant élus démocratiquement et a immédiatement reçu une récompense qui se compte en milliards. Aide financière, aide économique, financements de multiples équipements militaires, l’Egypte pour l’instant engrange les bienfaits de la séparation avec les turcs et les qataris. Est-ce définitif, rien ne peut l’assurer.
L’Arabie saoudite est allé plus loin, lorsque fin 2014 elle a essayé de rassembler le camp sunnite à l’annonce d’un prochain accord concernant le retour de l’Iran dans la communauté internationale. Elle a exigée du Qatar qu’il montre « son attachement » à la ligne saoudienne. Au-delà des déclarations, les saoudiens sont allés guerroyer au Yémen, un des pays les plus pauvre au monde, en choisissant leur adversaire, les milices chiites Houthis. Ces milices, lasses de l’incapacité des dirigeants successifs à redresser le pays, lasses de l’avancée d’Al Qaida au Yémen, lasses de ne pas être écoutées et participer à la gestion du pays ont pris les armes pour se faire entendre. Elles sont tombées dans le piège saoudien qui attendait ce moment pour engager le combat, pour libérer le Yémen, entraînant de nombreux pays sunnites dont le Qatar.
L’émir Tamim al Thani n’a aucune envie de devenir un émirat de plus des Emirats Arabes Unis ou une province autonome de l’Arabie saoudite. Ce dirigeant qatari est certes jeune, né en juin 1980, mais il a été formé à l’incroyable école du renseignement qatarien qui a trempé directement ou indirectement dans tous les conflits du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord. Depuis le 5 août 2003 où il devient Prince héritier, il a été associé à toutes les décisions et intervention internes et externes du Qatar.
Thamim Al Thani sait que tôt ou tard il devra retrouver sa liberté de décision alors que l’Arabie saoudite l’entraîne sur une voie dés plus dangereuse. Les saoudiens ne peuvent accepter que leur leadership soit remis en cause par l’Iran chiite. Ils ont fixé un territoire sur lequel aucun chiite ne sera plus en sécurité. Dans les priorités saoudiennes Daesh et Al Qaida viennent bien après le danger chiite. Ils laissent bien « la force internationale » conduite par les américains s’engluer dans un combat contre le terrorisme.
Alors, puisque l’émir Tamim Al Thani pense que les saoudiens sont dans une voie sans issue, qu’il ne peut faire confiance aux américains, totalement instables au Moyen Orient, ni aux occidentaux comme la France et le Royaume Uni qui n’ont pas les moyens de leurs ambitions, il se retourne vers Recep Tayyip Erdogan.
Celui-ci rêve de reconstituer en partie l’empire Ottoman et demande à ses troupes de se tenir prêtes à défendre la lointaine province autonome du Qatar au cas où elle serait attaquée. Allant au bout de leurs rêves, Tamim al Thani et Recep Tayyip Erdogan viennent d’annoncer que la Turquie est prête à développer son secteur de ventes d’armes et le Qatar pourrait être le facilitateur commercial pour les transactions.
De là à croire que les pays du Golfe comme l’Arabie saoudite ou les Emirats Arabes Unis achètent des armes à la Turquie venant ainsi renforcer l’axe Ankara – Doha, ou devenant dépendants des matériels turcs, il faut arrêter de rêver. Toutefois il reste tant de pays au monde qui ont besoin d’armes que nuls doutes que la Turquie et son commercial le Qatar trouveront à alimenter ce marché.
Qatar Turquie Russie liaisons dangereuses
Par expérience, il faut toujours être prudent avec un commercial brillant, quelque fois il s’imagine que sans lui rien ne peut se faire. Comme disait un illustre philosophe français au demeurant artiste, Francis Blanche, « “Est-ce l’œuf le père de la poule ou la poule la mère de l’œuf ? »
Ce qu’il faut retenir, le 3e émir du Qatar, Abdallah ben Jassim Al Thani fit partir les ottomans en 1915, le 8e émir, Tamim al Thani les invite à revenir 100 ans plus tard et leur construit même une base pour les accueillir, comprenne qui pourra.
Les récents événements en Turquie montrent que Erdogan est loin de maîtriser la sécurité dans son propre pays alors comment lui faire confiance pour assurer celle du Qatar. On peut aussi s’interroger sur les militaires turcs installés au Qatar et ceux qui arriveront prochainement. Sont-ils fiables ?
Le rapprochement de la Turquie et dans une moindre mesure celui du Qatar avec la Russie pourrait bien à l’avenir être source de problèmes dont on a bien du mal à maîtriser toute l’étendue. Le changement d’alliance de la Turquie avec la Russie donc avec Assad a et aura des conséquences désastreuses pour les turcs, les qatariens seront-ils pris dans la spirale du terrorisme à terme?
Première publication 31 mars 2016, mise à jour le 3 janvier 2017.