Le Qatar mérite le meilleur de ses citoyens, c’est l’appel à la mobilisation que l’émir du Qatar vient de lancer en fixant les orientations pour la période 2017 – 2022. Mais a-t- il une chance de réussir sans une révolution culturelle ?
La planification et l’action sont les deux piliers sur lesquels le Qatar doit reposer.
L’émir Tamim al Thani vient de prononcer, il y a quelques heures, un important discours pour l’ouverture de la 45e session de l’Advisor Council. Il fixe le cap pour le Qatar à court et moyen terme. Une expression de l’émir à particulièrement attiré notre attention lors de son discours “… when I see billboards on the streets that read: « Qatar deserves the best », I say it would be more correct to read: « Qatar deserves the best from its citizens”. Que faut-il comprendre ?
Le discours de l’émir Tamim porte plus, sur ce que nous appelons à qatarinfos.net, le « Qatar intérieur » que sur la politique étrangère. Enfin, dirons-nous ! A la veille de finaliser le prochain plan quinquennal 2017-2022, l’émir a pris conscience qu’il fallait mobiliser bien plus les qatariens. L’élite qui dirige le pays va tout droit vers un « burn-out », le partage des responsabilités mais surtout l’engagement de l’ensemble des qataris devient crucial, si le Qatar veut monter une marche de l’escalier économique et social au niveau mondial.
Le problème qui est posé au Qatar et donc à l’émir Tamim est de savoir comment créer cette émulation. Si les hydrocarbures en abondance dans ce pays ont été un « don de Dieu », la démobilisation et l’assistanat d’une grande partie de la population, pèsent sur l’avenir proche. Le véritable défi de l’émir et d’imaginer les voies et moyens de mobiliser « tous » les qatariens en sachant que globalement la population est d’environ 290 000 personnes. Il dit compter avant tout sur sa propre population. Or il se heurte à la réalité des chiffres.
Comment peut-on peser sur le futur d’un pays alors que la population autochtone est celle d’une grande ville moyenne ?
Comment peut-on avec un potentiel de moins de 100 000 actifs hommes plus femmes, diriger un pays aussi ambitieux que le Qatar ?
Son propos prend ici tout son sens : “when I see billboards on the streets that read: « Qatar deserves the best », I say it would be more correct to read: « Qatar deserves the best from its citizens.”
L’émir souhaite à l’image des élites qatariennes que l’engagement de la population soit total, or cette population est-elle en harmonie avec son émir ?
Le fossé se creuse entre les élites qatariennes et le reste de la population
Pour réussir la mobilisation totale des qatariens, il va bien falloir que l’émir lâche du lest.
En premier lieu, au niveau politique, les qataris aujourd’hui n’ont pas droit au chapitre, ni au niveau municipal ou malgré les demandes répétées des élus, aucun changement n’est envisagé et encore moins au niveau législatif puisque malgré ce qui est prévu dans la Constitution c’est l’émir qui désigne les membres de l’Advisor Council.
En deuxième lieu, la société qatarienne s’atomise tout autant que le reste du monde, le collectif diminue et on trouve aujourd’hui des hommes et des femmes « seuls ». En quelques années, le taux de divorce a explosé, mettant à mal la cellule familiale, un des fondamentaux du Qatar.
En troisième lieu, même si les droits des femmes sont en évolution, ce qu’il reste à accomplir est important. Les femmes seront-elles l’avenir du Qatar ? L’émir se heurte à la problématique du fait religieux et chacun a compris qu’il ne dispose ni du poids ni de la volonté de bousculer « les religieux wahhabites » du Qatar. Au-delà de quelques cas de femmes exceptionnelles que l’on met en avant en permanence, les femmes qatariennes ne peuvent pas pleinement répondre à l’appel de l’émir.
En quatrième lieu, force est de constater que l’éclatement de la cellule familiale, l’éloignement du père de plus en plus fréquent, à cause de son engagement économique, les valeurs du Qatar qui se diluent dans la mondialisation, ne permettent pas à la jeunesse de s’épanouir autant qu’elle le devrait. Les souffrances endurées se transforment souvent en un « mal être » qui abime la santé comme l’obésité, le diabète, les maladies cardio-vasculaires…Pour motiver les jeunes qatariens dans leur cursus scolaire on évite de leur parler de l’insertion dans la vie active. Or, la réalité des bas salaires au début de la carrière et les places détenues par des expatriés, souvent avec une immense expérience, bloque leur entrée dans la vie active.
Cinquième lieu, au Qatar les riches sont en croissance, mais on assiste aussi à la disparition de la classe moyenne. L’écart se creuse entre qatariens. Si en moyenne la richesse par habitant classe ce pays dans les premiers au monde, dans la vie réelle, la moyenne cache la souffrance de familles qatariennes en surendettement…
Les expatriés la véritable richesse du Qatar
La liste pourrait être longue des difficultés auxquelles est confronté l’émir Tamim pour réussir la mobilisation de son pays. Une grande partie des objectifs fixés pour la période précédente de la Vision 2030 ont été tenus aussi grâce à la participation de nombreux expatriés. La véritable révolution culturelle serait la mise en place d’un statut de résidence de longue durée, ce que nous appelons des « quasi qataris ». Il faudrait aujourd’hui ouvrir ce statut à 10 000 expatriés par an sur 5 ans afin qu’ils puissent envisager de vivre et servir le Qatar, passer de la participation à l’engagement. Sans cet acte de courage, le plan quinquennal 2017 – 2022 sera comme le précédent, un beau document écrit, une belle planification mais sans possibilité réelle d’action.
Les qatariens vont une nouvelle fois subir le choix des élites, comme ce fut le cas pour la Coupe du monde de football 2022, ou le tourisme de masse dont rêve le Qatar.
L’arrivée de cette force vive, triée sur le volet, 50 000 actifs à la fin de la période, permettrait à l’émir et son gouvernement d’atteindre les objectifs déterminés et de prendre le temps de « travailler » à l’évolution de la population qatarienne vers une implication plus importante dans la destinée du pays.
On sent bien, l’agacement qui monte entre l’émir, les élites et le reste de la population. Une émulation ne se décrété pas, elle se construit. Lorsque nous écrivions, il y a peu, que le « Qatar intérieur » était délaissé, c’était une façon de pointer du doigt les difficultés à venir en cas d’appel à la mobilisation qui était inévitable.
L’émir Tamim doit bien concevoir que sans une « révolution culturelle » de son pays, il lui faudra des décennies pour faire « bouger » la mentalité ambiante. Il dispose aujourd’hui d’une richesse presque aussi importante que les hydrocarbures mais avec toujours la même problématique. Les 50 000 actifs expatriés, avec un statut approprié, peuvent être une bénédiction, car ils auront à cœur de faire prospérer le Qatar. Mais il faut œuvrer sur les 5 prochaines années à l’implication sans faille des qatariens pour qu’ils puissent s’approprier totalement leur pays et s’engager aux côtés des élites du pays.