Mohammed Rashid Al-Ajami le poète a été gracié par l’émir Tamim al Thani, comment faut-il interpréter ce geste ?
Opportunité ou nouvelle stratégie de l’émir Tamim al Thani ?
L’équilibre de la société qatarienne, hors expatriés, tient avant tout à un consensus entre les grandes tribus et familles du Qatar. Lorsque le poète, Mohammed Rashid Al-Ajami fut emprisonné, il y a 4 ans, pour injures contre l’émir Hamad et pour incitation au soulèvement, l’époque était aux changements dans beaucoup de pays arabes. Le fameux Printemps arabe que certains avaient ressentis, croyant à tort que l’hiver politique était terminé.
L’émir Hamad al Thani amorçait la fin de son règne, rattrapé par de nombreuses « affaires » à l’international. Chacun sait que le poète « a toujours raison » car il perçoit les événements autrement que le commun des mortels mais il s’expose à la vindicte de celui qu’il cible. Hamad fit emprisonner Al-Ajami, ne pouvant se permettre de faire au Qatar ce qu’il professait dans les autres pays arabes. La société qatarienne n’était pas prête à s’ouvrir à la démocratie, en tout cas, les dirigeants des tribus et donc du pays ne le voulaient pas. Hamad sous la pression américaine laissa sa place au jeune émir Tamim, son fils, jadis ami proche du poète. Presque trois ans plus tard, Tamim devenu émir, vient de gracier Mohammed Rashid Al-Ajami pour montrer au monde entier que le Qatar est capable de faire des gestes d’apaisement.
L’émir qui veut être un « grand médiateur », doit le prouver déjà dans son propre pays. En libérant le poète il se heurte à quelques grandes familles qatariennes, devenues minoritaires, craignant pour leur pouvoir. L’émir Tamim a su trouver les mots et les actes pour rassurer ces familles. Il avait dit clairement au poète qu’il n’accepterait aucun propos rebelle, sauf agrée par lui au préalable. Le deal passé, il pouvait libérer cet homme qui lui portait préjudice au niveau international, montrant au passage, une fois de plus, que le Qatar est plus souple avec ses prisonniers que l’Arabie saoudite. Une opportunité par rapport aux institutions internationales qui « s’excitent contre le Qatar », peut être une stratégie, si par le plus grand des hasards, une loi venait à décriminaliser la portée des actes liés aux dettes économiques. Ceci ouvrirait plus largement les portes des prisons à plusieurs centaines d’individus, qatariens et expatriés qui seraient plus actifs dans la société qatarienne pour rembourser leurs dettes au lieu de croupir bêtement en prison.
Sans doute là encore, l’émir va se heurter à quelques grandes familles possédantes, mais s’il veut transformer une opportunité en stratégie, c’est bien dans ce sens qu’il doit aller. Le jour d’après, il devra commencer à mettre en place une « ouverture démocratique contrôlée » et plus tard, si Dieu le veut, un peu plus encore. Dans quelques années, l’émir donnera raison au poète, celui-ci est déjà dans d’autres rêves, d’une société plus fraternelle et plus équitable, mais ceci est une autre poésie.