Une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire.
Janvier 2016 Cour des comptes
Située dans le canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar, Mayotte fait partie de l’archipel des Comores qui est composé de trois autres îles : Grande-Comore, Mohéli et Anjouan, cette dernière étant située à seulement 70 km de Mayotte.
Les Mahorais ont un attachement particulier à la France. Ce lien a deux explications principales. D’une part, il résulte d’une histoire commune plus ancienne, Mayotte ayant été, dès 1841, la première île de l’archipel à être rattachée à la France, lorsque le dernier sultan de Mayotte, Andriantsouli, la vendit à un capitaine de vaisseau français. Il faudra néanmoins attendre 1843 pour que le roi Louis-Philippe Ier ratifie cette acquisition, faisant de Mayotte un protectorat. Par comparaison, ce n’est qu’entre 1886 et 1892 que les trois autres îles des Comores accédèrent au même statut. D’autre part, alors que les Comores sont devenues une « province autonome » en 1928, à l’initiative du gouverneur général de Madagascar, les réformes successives du statut des Comores, et notamment l’accès à celui de territoire d’outre-mer en 1946, accentuèrent l’intégration des quatre îles, au détriment de Mayotte. Ainsi, le transfert, en 1958, du chef-lieu de Dzaoudzi (à Mayotte) à Moroni (en Grande-Comore), qui s’ajoutait à la faible représentation des Mahorais à l’assemblée territoriale, constitua un point de rupture entre les élites mahoraises et le pouvoir comorien, rupture qui ne fit que s’accentuer avec le temps.
L’histoire administrative de Mayotte a connu de nombreuses vicissitudes sous la Ve République. Lors du référendum organisé, en décembre 1974, sur l’autodétermination des Comores, le décompte des voix, effectué île par île, avait manifesté la volonté de Mayotte de rester rattachée à la République française à une majorité de 63,8 % des suffrages exprimés, contrairement aux trois autres îles de l’archipel. Face aux contestations de l’État comorien, un nouveau référendum, organisé en février 1976, a confirmé à plus de 99 % la volonté des Mahorais de demeurer Français. Après une période de stabilité assez longue, au cours de laquelle Mayotte avait, en vertu de la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976 relative à l’organisation de Mayotte, le statut de « collectivité territoriale de la République française », plusieurs évolutions sont intervenues au tournant du siècle.
Tout d’abord, l’accord du 27 janvier 2000 sur l’avenir de Mayotte a prévu son évolution vers le statut de « collectivité départementale », qui est effectivement entré en vigueur avec l’article 1er de la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte. Cette loi prévoyait également le transfert de l’exécutif de la collectivité du préfet vers le président du conseil général à compter de 2004. De même, elle organisait des transferts de compétences, ainsi que la partition des services (personnels et moyens) et du foncier entre l’État et la collectivité départementale, réalisant ainsi les premières grandes étapes de la décentralisation à Mayotte. Elle engageait d’une certaine manière le processus de départementalisation. Par la suite, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a inscrit Mayotte dans la Constitution, faisant d’elle une collectivité d’outre-mer (COM) régie par l’article 74.
Le processus de départementalisation a repris avec la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. Celle-ci prévoyait, d’une part, l’application du principe d’identité législative à Mayotte, à l’exception de six grands domaines, et, d’autre part, les conditions du passage du statut de collectivité de l’article 74 de la Constitution à celui de département et région d’outre-mer régi par l’article 73. Le changement de statut a été entrepris par une décision du conseil des ministres du 23 janvier 2008, puis le conseil général de Mayotte a formellement demandé, par une résolution unanime d’avril 2008, la départementalisation de Mayotte. Le Gouvernement a alors préparé un « Pacte pour la départementalisation de Mayotte », que le Président de la République a présenté aux élus mahorais le 16 décembre 2008. Contrairement à ce que son intitulé pouvait laisser penser, ce document n’était pas un accord bipartite, comme l’était celui du 27 janvier 2000, mais une « feuille de route » de l’État, destinée notamment à informer les Mahorais sur l’avenir de leur collectivité à l’approche du référendum.
Outre le changement institutionnel proprement dit, qui devait intervenir rapidement, elle définissait les principaux chantiers à conduire pour l’accompagner : garantie des principes républicains à Mayotte, ce qui devait passer par le développement d’un état civil fiable, de la pleine application de la justice républicaine, de la maîtrise du français et de l’égalité entre les hommes et les femmes ; développement de la politique sociale, à travers l’alignement très progressif (sur 20 à 25 ans) des principales prestations sociales et des minima sociaux sur ceux de la métropole ; instauration d’une fiscalité de droit commun ; accompagnement du développement économique, essentiellement par des transferts publics en provenance de la métropole ; et enfin passage au statut européen de région ultrapériphérique. Les bases de la départementalisation étaient ainsi fixées.
Près de cinq ans après la création du Département, et au moment où le Gouvernement a dévoilé le plan stratégique « Mayotte 2025 », « traçant pour les 10 années à venir le cheminement vers le droit commun de la République » et prenant ainsi le relais du « Pacte pour la départementalisation » de 2008, un premier bilan de la période 2010-2014 peut être dressé. Dans cette perspective, la Cour a créé une formation commune avec la chambre régionale des comptes de Mayotte pour conduire une enquête sur les conditions de mise en place de la départementalisation par l’État, sur ses conséquences financières et budgétaires et sur la dimension locale de cette vaste réforme.
Deux relevés d’observations provisoires ont été adressés, le premier aux administrations centrales impliquées dans le processus de départementalisation, le second au conseil départemental. Après avoir examiné et pris en compte les réponses reçues et avoir auditionné, d’une part, à Paris, le directeur général des outre-mer et, d’autre part, à Mayotte, le président du conseil départemental et son prédécesseur, la Cour a adopté le présent rapport.
En préambule, ce rapport dresse un tableau, au-delà des transformations statutaires, des principaux défis économiques et sociaux rencontrés par le Département.
Il apparaît en premier lieu que la situation de Mayotte est unique au sein de la République française. L’enjeu démographique est central, en raison à la fois d’une croissance naturelle extrêmement dynamique et de flux migratoires de masse, qui demeurent très mal maîtrisés. Le développement économique et social, s’il a incontestablement progressé, demeure cependant un processus de longue haleine, qui ne peut de surcroît être séparé de l’explosion démographique que certaines études prévoient (chapitre I). Dans ces conditions, la départementalisation aurait nécessité d’être mieux préparée et pilotée, ce qui n’a été le cas ni au niveau de l’État, ni au niveau du Département. Quatre ans après le dernier changement de statut, de nombreux chantiers, pourtant identifiés dans le « Pacte pour la départementalisation » comme des préalables à la réussite de la réforme notamment le règlement de la question foncière, qui conditionne le succès de la mise en place de la fiscalité directe locale de droit commun – ne sont toujours pas achevés (chapitre II). En outre, les conséquences financières de la départementalisation sont à ce jour mal maîtrisées : si l’effort budgétaire de l’État a déjà sensiblement augmenté, celui-ci souffre d’un défaut chronique de programmation, alors même que le risque de dérapage est avéré. Quant au Département et aux communes, leur situation financière est proche de l’impasse, fragilisant la pleine mise en œuvre de leurs compétences (chapitre III).
L’achèvement du processus de départementalisation et la fixation d’un cadre financier pluriannuel soutenable apparaissent dès lors comme autant de prérequis pour répondre de manière satisfaisante aux principaux défis rencontrés par Mayotte. Parmi ceux-ci, l’enjeu du développement, qui nécessite d’utiliser de manière efficace les fonds structurels et d’investissement européens, est prioritaire. L’État et les collectivités mahoraises doivent aussi répondre au défi de l’accès à l’éducation, notamment à travers l’épineuse question des constructions scolaires, ainsi qu’aux défis du champ social, avec la gestion du revenu de solidarité active (RSA), d’une part, et de l’aide sociale à l’enfance (ASE), d’autre part (chapitre IV).
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