Depuis le 13ème Congrès des Nations Unies pour la prévention de la criminalité et la justice pénale, qui se déroule jusqu’au 19 avril à Doha, au Qatar, le chef du Directorat du Comité des Nations Unies contre le terrorisme (CTED), Jean-Paul Laborde répond aux questions du Centre d’actualités de l’ONU.
Le financement du terrorisme évolue en permanence
La prévention et la lutte contre le financement du terrorisme est l’un des thèmes discutés au 13ème Congrès des Nations Unies pour la prévention de la criminalité et la justice pénale, qui se déroule jusqu’au 19 avril à Doha, au Qatar.
Les organisations terroristes ont besoin de fonds pour recruter leurs membres et subvenir aux besoins de ces derniers, entretenir leurs plates-formes logistiques et conduire leurs opérations.
De nombreux États ne disposent pas des cadres juridiques et opérationnels ni de l’expertise technique nécessaires pour détecter les activités de financement du terrorisme, mener des enquêtes sur ces activités et en poursuivre les auteurs. C’est pourquoi le renforcement de la coopération internationale est jugé nécessaire pour prévenir et lutter contre le financement du terrorisme.
Le Centre d’actualités de l’ONU s’est entretenu avec le chef du Directorat du Comité des Nations Unies contre le terrorisme (CTED), Jean-Paul Laborde, qui participait au Congrès contre le crime.
Centre d’actualités de l’ONU : Les groupes terroristes ont besoin d’argent pour mener leurs activités meurtrières. Pouvez-vous nous donner des exemples des circuits utilisés par ces groupes terroristes pour se financer ?
Jean-Paul Laborde : Cette question a beaucoup évolué depuis ces dernières années. Au départ les groupes terroristes se finançaient en faisant des collectes auprès des gens et grâce au blanchiment d’argent venant d’organisations criminelles. Actuellement, nous voyons une évolution extrêmement importante, surtout depuis la naissance du phénomène des combattants terroristes étrangers. Premièrement, dans certains pays, le fait que les groupes terroristes aient accès à un territoire leur permet d’avoir accès aux taxes, au système bancaire. Les succursales dans les zones contrôlées par les organisations terroristes reçoivent de l’argent ou en échangent avec l’étranger. Les combattants terroristes étrangers amènent aussi de l’argent dans les zones de combat ou bien se financent à travers des messages déguisés sur l’Internet. Voilà les nouvelles formes de financement du terrorisme et je pense qu’effectivement il faut absolument les combattre. Une autre forme qui est aussi extrêmement importante, c’est la prise d’otages pour rançon. On estime à peu près entre 20 et 45 millions de dollars par an la possibilité de financement par prise d’otages et rançon. D’autres formes de financement sont possibles comme la vente d’antiquités. Une forme de financement peut remplacer une autre, et c’est un gros problème. Par exemple, s’il y a une baisse de la production du pétrole, pour diverses raisons, dans une région contrôlée par une organisation terroriste, alors ils vont augmenter la vente d’antiquités.
Centre d’actualités de l’ONU : Pouvez-vous nous expliquer ce que la communauté internationale fait, et en particulier l’ONU, pour prévenir et combattre le financement du terrorisme ?
Jean-Paul Laborde : Ce combat n’est pas nouveau. Ce combat date d’une quinzaine d’années à peu près, mais on a effectivement au début concentré les actions sur les questions de blanchiment d’argent, c’est-à-dire les mécanismes financiers de pays off-shore ou encore les transferts illégaux d’argent. Maintenant, il y a beaucoup plus de menaces qui proviennent du phénomène des combattants terroristes étrangers, donc il faut s’attaquer à ce phénomène-là et le Conseil de sécurité, qui est l’organe qui réagit souvent le plus vite à l’ONU, a adopté la résolution 2178 lors d’un Sommet en septembre dernier. Le Conseil a pris des dispositions précises pour l’incrimination des nouvelles formes de financement du terrorisme. La coopération internationale a aussi été un des éléments dont il a été question et qu’il faut absolument mettre en œuvre, en plus de la détection des flux financiers grâce aux renseignements financiers.
Centre d’actualités de l’ONU : Quelles sont les failles actuelles dans la lutte contre le financement du terrorisme ?
Jean-Paul Laborde : Les failles viennent des nouvelles formes de financement. Par exemple, les failles viennent du fait qu’il faut empêcher des gens de passer les frontières avec de l’argent sur eux. C’est très compliqué. Par exemple, les frontières sont souvent aux alentours des zones contrôlées par des organisations terroristes. Elles sont souvent aussi empruntées par les organisations humanitaires. Donc il ne faut pas se tromper. Il y a beaucoup de gens qui appartiennent à des organisations terroristes et qui arrivent à traverser les frontières assez facilement. La communauté internationale doit avoir une action sur le contrôle des frontières, aider les pays qui en ont besoin. Deuxièmement, il faut arriver à isoler les circuits bancaires qui sont dans les zones contrôlées par les organisations terroristes. C’est en train de se faire. On s’appuie sur les dernières résolutions des Nations Unies. Des dispositions sont aussi prises au niveau du Groupe d’action financière (GAFI), et au niveau des GAFI régionaux, et en particulier ici le MENAFATF (Middle East & North Africa Financial Action Task Force).
Centre d’actualités de l’ONU : Vous avez mentionné la coopération internationale. En quoi, cette coopération internationale est-elle importante pour combattre le financement du terrorisme ?
Jean-Paul Laborde : Non seulement elle est importante, mais il faut qu’elle change. Nous avions une coopération internationale traditionnelle avec en particulier des échanges d’information à travers des systèmes judiciaires qui prenaient les voies traditionnelles. Or, avec les transferts de flux financiers par l’Internet ou même les transferts de flux financiers par des gens qui passent les frontières, il faut trouver d’autres moyens pour contrer ce type de financement. C’est pourquoi la coopération internationale immédiate est nécessaire. C’est un peu une révolution parce que les coopérations internationales sont la plupart du temps lentes. La question du financement avait déjà bénéficié d’une réaction plus rapide de la coopération internationale mais il faut aller encore plus vite et c’est là-dessus que nous portons nos efforts pour que cette coopération internationale, tant sur le plan du renseignement que sur le plan de la collection des preuves, aille beaucoup plus vite. Pourquoi ? Parce que l’on ne doit pas accepter l’impunité de ceux qui financent ou de ceux qui obtiennent des fonds. La lutte contre l’impunité, cela veut dire que tous ces gens doivent passer en justice. On ne peut pas travailler au sein de la communauté internationale sans avoir la vision d’un système de justice pénale qui soit en première ligne contre le financement du terrorisme. C’est pourquoi je suis ici.