A plusieurs reprises nous avons alerté l’émir Tamim sur la nécessité de continuer les réformes pour que le Qatar soit une référence parmi les pays du Golfe et puisse participer à l’économie mondiale. Les retards pris depuis quelques mois ainsi qu’une tentative de retour en arrière conduisent le Qatar dans une impasse. Le risque de perdre la coupe du monde ou d’un boycott doit être pris au sérieux par les dirigeants du Qatar.
Et pourtant un bon départ fut pris
Lorsqu’il y a 4 mois l’émir Tamim prit le pouvoir « lâché » par son père, tout laissé croire qu’il avait tiré les leçons du passé. L’émir Tamim était attendu par tout le monde afin d’être un exemple pour le monde arabe, amorcer une gouvernance plus large, entreprendre les réformes sur les conditions de circulation de travailleurs et améliorer les conditions de vie au travail. Il devait aller au-delà du Printemps arabe qui s’essoufflait. Une première expression fut remarqué celle du ministre du travail. Nous écrivions « Décidé à faire bouger certaines demandes des salariés expatriés, le ministre du travail du Qatar prend des initiatives. »
En matière salariale, les sources de conflit actuelles sont le paiement « cash » et le retard ou le non paiement des salaires ou des cotisations sociales. Le ministre du travail souhaite faire bouger ces demandes des expatriés et propose des modifications légales afin de pouvoir contraindre les employeurs à payer. Avant tout il veut obliger les employeurs à payer les salaires via un système bancaire pour avoir une trace sérieuse du paiement et pouvoir vérifier si les entreprises paient en temps voulu. Les responsables des employeurs sont favorables à ses mesures. Un projet de modifications a été transmis au Conseil des ministres pour approbation.
Le ministère du travail a entrepris aussi de mettre en conformité les conditions d’hygiène et sécurité au travail. Une des plus grosses difficultés réside dans les équipements sommaires des lieux d’habitations des salariés expatriés qui n’ont pas les moyens d’avoir une habitation individuelle. Les normes d’hygiène, sont loin d’être satisfaisantes Ce sont de véritables « camps de travail ». Dans un rapport daté de 2012 Human Rights Watch dit « Certains habitaient dans des camps de travail surpeuplés et insalubres sans accès à l’eau potable, sans ventilation adéquate et dépourvus de climatiseur en bon état de marche. Ces éléments sont essentiels pour minimiser les risques de coup de chaleur dans un pays où les températures diurnes peuvent atteindre 45 degrés en été. »
Mais deux mois plus tard coup de frein brutal, le gouvernement du Qatar a demandé « aux experts » d’examiner la pertinence des textes légaux actuels afin éventuellement de les modifier et de les mettre en conformité par rapport au droit international, si nécessaire. J’aimerais connaître la teneur de la lettre de mission donnée aux experts car le résultat remis lors d’une conférence de presse au journal Al Arab me laisse perplexe ! En effet, s’adressant au quotidien arabe Al Arab, ces experts sont arrivés à la conclusion que la relation entre le « sponsor » et la personne parrainée est organisée par la loi. Cette loi protège les droits des expatriés et des investisseurs étrangers et qu’il ne faut pas y toucher. La preuve, selon ces experts le « sponsor » ne peut en aucun moment « saisir tout droit de la personne parrainée » exemple un passeport, une partie du salaire… Et de toute manière si le parrainé s’estime spolié de ses droits, il peut saisir la justice… Ceci me fait dire que le ministre du travail a fait « tout ce bruit » pour rien, il s’égare et se trompe de chemin.
Tout expatrié ou investisseur étranger est au courant de tout cela mais « le fait précède le droit » et là les experts n’en tiennent pas compte. Lorsque l’essentiel de la population expatriée se voit confisquer son passeport, ce n’est plus un incident que l’on fait régler par la justice mais c’est que la loi n’est pas bonne et il faut la modifier car la justice ne peut pas faire face à une généralité. De même, pour l’investisseur étranger « coincé » au Qatar, si on parle de droit exorbitant pour le « sponsor » c’est que les moyens de recours de l’entrepreneur qui peuvent durer de quelques mois à quelques années faussent la relation contractuelle ; là encore la loi doit être modifiée pour rééquilibrer le poids des deux contractants. Enfin, il faut être sourd et aveugle pour ne pas voir les centaines de morts et plus d’un millier de blessés qui annuellement surviennent au Qatar dans le cadre de la relation de travail.
Il y a des secteurs professionnels au Qatar où la situation est bonne pour ce qui concerne les conditions de travail, le secteur pétrolier gazier et ses dérivés par exemple. Pourquoi dans le bâtiment, les travaux publics et dans de nombreux autres secteurs la situation n’est pas la même ? La loi doit être précisée pour tous ces secteurs qui aujourd’hui occasionnent autant de souffrances humaines. Et il est inconcevable que si le système des « sponsors » perdure, la responsabilité des Qataris ne soit pas engagée !
L’Emir Tamim et son gouvernement sait que les experts se trompent très souvent car ils n’intègrent pas le facteur social et politique. Il suffit d’écouter et de regarder pour voir et entendre ces cris de douleurs qui montent des plus faibles travailleurs du Qatar. Il y a deux possibilités pour eux de s’exprimer soit par la révolte pour demander « du pain et du respect » ou ne plus venir travailler au Qatar ; pour être à l’écoute de ce qui se passe autour du Qatar, cette deuxième solution fait son chemin et à terme cela peut entrainer l’asphyxie économique et sociale du pays.
Les prémices de l’asphyxie
Trop empêtrés à l’international les dirigeants du Qatar en ont oublié les fondamentaux économiques du pays. Si à coup de milliards ils tiennent encore les premières places de la compétitivité bon nombre d’indicateurs démontrent que l’asphyxie de l’économie est en marche. Le problème premier que rencontre le Qatar est sa population. Moins de 270 000 qataris en comptant les personnes âgés et les enfants. Tout en considérant un nombre important de femmes au travail notamment dans les professions éducatives et administratives. Jamais le Qatar ne pourra faire face dans les années à venir à toutes ses ambitions économiques et sociales.
La plus grande difficulté réside dans sa jeunesse qui a de gros problèmes de santé et qui dans une immense majorité souhaite travailler dans les administrations Qatariennes. Leur souhait n’est pas de faire des grandes études pour ensuite diriger des entreprises privées au niveau international où ses cadres dirigeants n’ont plus de vie avec leurs familles. Conséquence de cette absence de la gestion familiale par un engagement important dans la vie économique à la rentrée débuteront des cours contre l’obésité car 2/5 des enfants en âge scolaire sont en surpoids au Qatar.
Pour les jeunes qataris il est impossible d’être un citoyen ordinaire. Pour combattre le divorce galopant un organisme de bienfaisance qui a reçu l’aval du gouvernement offre un logement gratuit au moins pendant deux ans aux jeunes couples, mais pour autant, ce citoyen, échappe t-il au stress de la pression de la réussite ?
Cette pression est telle sur la partie « active de la population » qu’elle engendrera sont taux de dépressions qui comme l’indique l’Organisation Mondiale de la Santé deviendra en 2020 la deuxième cause d’invalidité dans le monde. L’obsession de la réussite peut mener à une forme d’idolâtrie.
L’information récente des pouvoirs publics Qatariens concernant la population au 30 septembre 2013 soit 2 035 106 confirme l’avance par rapport au plan Vision 2030 qui prévoyait ce nombre là mais en 2016. Selon Aziz Sharif, directeur associé du portail Mannzili (spécialisé dans l’immobilier) « l’afflux de personnes employées à l’exécution des divers projets d’infrastructures de grande envergure menées pour la Coupe du Monde entraîne une demande de logements plus importante que prévue. »
La tension sur le nombre de logements ne date pas seulement de l’annonce de l’organisation de la coupe du monde de foot, il y avait déjà pénurie dans le passé, due à une augmentation importante de la population des expatriés. Cet afflux de population a eu comme conséquence une explosion des loyers. En dix ans, les loyers ont augmenté de 240 %, une villa qui se louait en 2003 environ 5 000 QR (1 054 €) se loue aujourd’hui environ 12 000 QR (2 531€). On ne parle pas seulement de rattrapage, il s’agit d’un véritable dérapage. La part du loyer représente aujourd’hui prés de 32,2 % dans le budget d’un Qatari non millionnaire, bien au-delà de beaucoup de pays au niveau mondial. Les Expatriés, aujourd’hui, passent une plus grande partie de leurs revenus sur le loyer en tout cas bien plus que dans les décennies précédentes. La création de logements abordables a été oubliée.
Au lieu de rectifier ces prémices d’asphyxie le Qatar joue la montre mais la voie et sans issue ou il fait les réformes ou il perd la coupe du monde et l’impact sera terrible.
La Coupe du monde 2022 peut se transformer en piège
Nous sommes sans doute à 9 ans de la Coupe du monde du foot au Qatar mais aujourd’hui personne ne peut être certain qu’elle aura bien lieu la bas. La question que tout le monde se pose est pourquoi le Qatar tarde-t-il à prendre une décision sur les reformes qui s’imposent pour une liberté de circulation des travailleurs et une amélioration de leur conditions de vie au travail. Certes, ces réformes auront des conséquences financières mais le Qatar peut se le permettre.
Ce qui est étrange c’est le choix de perdre le bénéfice de nombreuses années passées à améliorer son image de marque. Je ne sais pas qui conseille l’émir mais lorsque cette bourrasque deviendra cyclone l’émir fera payer la note à ces conseillers qui devront fuir à la vitesse de la lumière. Le Qatar avait-il besoin de cette Coupe du monde de Foot ?
La réponse peut surprendre, mais le Qatar n’avait aucun besoin de cette Coupe de foot. Dans un premier temps l’émir Hamad avait besoin d’être l’égal des grands de la région alors que son pays avait été longtemps considéré comme quantité négligeable. Tout le travail effectué depuis des années par son équipe a permis au Qatar de « s’afficher pour exister » mais il arrive un moment il faut savoir lever le pied. Le Qatar est connu dans le monde entier aujourd’hui cela procure une notoriété mais aussi des responsabilités. Comme beaucoup d’experts internationaux l’ont dit pour jouer dans la cour des grands il faut en appliquer les règles ou du moins montrer la tendance d’aller dans ce sens. Alors que les « courtisans » entourant l’émir actuel en pratiquant une communication agressive et enfantine et en disant que les lois actuelles n’ont pas à être modifiées conduisent le jeune émir droit dans le mur.
Qui peut imaginer que les syndicats internationaux vont laisser tranquille le Qatar qui par son attitude, ne pas donner accès librement aux chantiers importants, leur donne à penser que l’article du The Guardian et celui de Doha News un mois avant étaient fondés. Qui peut imaginer que la Fifa puisse s’en tirer avec une pirouette ? Qatar et Fifa vont rentrer dans l’œil du cyclone et ne pourront pas en sortir sans prendre les mesures d’accompagnements nécessaires.
Le grand public commence à faire l’association entre Qatar et la maltraitance des personnels qui travaillent sur son territoire. Les quelques tentatives de redresser l’image par des « amis et courtisans fidèles » ne suffira pas car c’est en profondeur que l’image est en train de dégrader. Dans quelques temps au rythme où ça va l’émir du Qatar patron du PSG aura droit aux sifflets des spectateurs quand il se montrera non pas pour le sport mais pour son image de dirigeant qui laisse faire « une exploitation aux conséquences mortelles pour des travailleurs ».
Lui qui espérait renforcer un des piliers du Qatar, le tourisme, il est en train de perdre l’avantage sur ce sujet. Ce ne sont pas les milliards qui seront dépensés qui modifieront la pensée du public potentiel qui pourrait un jour se rendre dans ce pays. Le Qatar peut embaucher bon nombre de spécialistes mondiaux pour ses affaires mais ce qu’il lui manque cruellement ce sont des personnalités Qataris reconnues par tous.
Lorsque il y a 7 mois je me suis intéressé à ce pays il y avait dans l’air une certaine fascination crée notamment par des personnes comme la Scheikha Moza et un choix stratégique autour de l’Education, le Sport, la Culture et le Tourisme sans oublier une ouverture économique afin de préparer le pays à terme à un après gaz et pétrole.
Sur ce qu’on appelle les piliers du Qatari : Education, Sport, Culture et Tourisme l’importance de l’image du pays est essentielle. Or sur chacun de ces sujets spectateur attentif de ce pays un nombre importants de controverses pourraient être dites. La fascination disparue, les personnalités créant la dynamique mises au placard qui pourra demain redonner une image positive du Qatar ?
L’émir régulièrement parle du « temps qu’il faut lui accorder » pour amener son pays vers une évolution se rapprochant des valeurs universelles mondiales. Le fait d’avoir attiré l’attention du monde entier par la Coupe du monde de foot alors que rien ne progresse dans ce pays, pire encore, la polémique soulevée sur l’homosexualité montre l’incapacité de ce pays et de ses dirigeants à se contrôler. On fait en permanence dans l’excès et maintenant on tombe dans la provocation.
A plusieurs reprises nous avons alerté l’émir Tamim sur la nécessité de continuer les réformes pour que le Qatar soit une référence parmi les pays du Golfe et puisse participer à l’économie mondiale. N’est ce pas là le meilleur moyen de s’afficher pour exister ? Les retards pris depuis quelques mois ainsi qu’une tentative de retour en arrière mettent le Qatar et sa population en danger.
Quelques journaux se font échos de problèmes en voie de règlements et une prise de conscience qu’il faut bouger « les lignes » sur les travailleurs expatriés. Mais il devient urgentissime que le Qatar remette en mouvement les réformes nécessaires pour le pays dont les élections législatives. Cet état souhaite marquer la différence par rapport à l’Arabie Saoudite, il tient là le sujet, la réforme, qui peut à la fois le faire revenir dans le jeu international avec une image reconstruite mais aussi continuer le bouleversement entrepris non seulement dans le Golfe mais aussi dans tout le Moyen Orient et l’Afrique du Nord.